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POLITIQUE La philosophie politique

L'État au service de la société

De Machiavel au « contrat social »

C'est Machiavel qui formule les principes de la nouvelle pensée politique avec le plus de rigueur. Seul un État fort à l'intérieur comme à l'extérieur peut donner à ses citoyens ce que ceux-ci regardent légitimement comme leurs droits fondamentaux : la sécurité de leur vie, de leur honneur (protection contre les insultes), de leur fortune. Les hommes ne cesseront d'être immoraux, violents, menteurs qu'à ce prix. Aussi seul un État autonome, État d'une communauté historique fondée sur une langue, une culture, un souvenir communs, pourra-t-il résister, grâce à l'esprit de sacrifice de citoyens protégés en leurs droits, aux assauts de ses voisins et à la décomposition interne. Machiavel veut une société morale, c'est-à-dire où règne la confiance mutuelle, à l'abri d'un pouvoir respectueux des membres de la société. Il n'y a qu'apparente contradiction dans le fait que le même Machiavel conseille au fondateur d'un tel État l'emploi de tous les moyens même les plus immoraux : c'est que l'État reste à créer et que le monde à partir duquel et contre lequel il doit être édifié est violent, sans morale, sans véritable communauté, et qu'il faut éliminer tout ce qui survit de féodalité, de particularisme, de prétentions mondaines d'une Église politisée. Qu'une vie morale ne soit guère possible sans « religion », sans reconnaissance vécue de principes derniers, Machiavel le sait ; mais une telle religion (ou faut-il dire : religiosité ?) ne peut exister que dans l'État d'une communauté vraie et sera fidélité religieuse envers lui ; ce ne saurait être une religion qui détourne l'homme du monde, dans lequel il vit et agit pour le transformer en âme à la recherche d'un salut transcendant et en faire l'esclave de ceux qui disposent, pour leurs intérêts très terrestres, de l'accès à l'autre monde.

Jean Bodin élaborera le concept de souveraineté de l'État, c'est-à-dire du prince, en toute clarté. Ce qu'implique ce concept n'en est pas moins présent chez Machiavel et s'y dessine peut-être mieux. Le souverain (roi, aristocratie, assemblée) est le défenseur de la société ; il a tous les droits, puisque rien n'existe au-dessus de lui ; mais son intérêt aussi bien que la loi naturelle de la distinction du mien et du tien, de l'inviolabilité des contrats, du respect dû à l'individu restreignent l'exercice d'une prérogative en principe sans limites : en ruinant la société, le prince ruinerait l'État, qui tire sa puissance d'une société dont cette loi naturelle exprime le principe. Car ce que cherche l'homme à présent, ce n'est plus la félicité intemporelle du sage antique, ni celle, espérée, du chrétien : c'est l'être de besoins et de désirs qui peuple la société et l'État. Hobbes l'exprimera sous la forme la plus radicale : seul un État tout-puissant protégera les membres de la société contre la démesure de leurs désirs innés de gloire et de richesse qui, sans contrôle, déchaîneraient la lutte de tous contre tous. Les individus abdiquent tout leur pouvoir entre les mains d'un seul afin d'être défendus contre eux-mêmes, non pour s'occuper des affaires d'État, mais pour pouvoir vaquer à leurs affaires à eux et pour pouvoir jouir en paix de leurs biens acquis.

C'est ainsi que naît l'idée d'un contrat social, idée contradictoire puisqu'elle suppose un contrat pour fonder la possibilité de tout contrat, idée pourtant très compréhensible puisqu'elle expose la façon selon laquelle l'homme s'interprète maintenant : il est, non pas être raisonnable, mais être rationnel, calculateur de son intérêt et, puisqu'il[...]

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