POLITIQUE La philosophie politique
La philosophie politique moderne
Hegel
C'est dans la pensée de Hegel que se rencontrent tous les courants du passé, à l'exception des idées universalistes et théocratiques, et c'est à partir d'elle que de nouvelles façons d'interpréter la réalité politique prennent leur origine. Selon Hegel, la vie politique naît avec la distinction du mien et du tien ; de là, elle passe au contrat, elle exclut, avec les concepts de crime et de punition, l'idée de la violence, et va à l'affirmation du principe de l'universalité d'une morale formelle pour laquelle l'individu humain constitue une valeur absolue. Mais comme cet impératif (kantien) n'est que formel, la réalité ne s'en contente pas ; ce qui la structure, c'est une morale concrète, à la fois historique et soumise aux exigences rationnelles du travail social tel qu'il a pris forme avec l'avènement du machinisme et la division du travail. Comme toute morale, elle exige de l'individu qu'il soumette sa volonté particulière aux nécessités d'un Tout qui, en revanche, en reconnaît les droits sur le plan, socialement et légalement institutionnalisé, de la propriété, du métier, de la famille et de la religion.
La société du travail constitue ainsi la perspective sous laquelle le monde historique apparaît à l'individu. Mais précisément, dans cette perspective, le monde historique présent devient incompréhensible : la propriété privée des moyens de production industrielle, la concentration de la richesse entre les mains d'un groupe toujours plus restreint sous l'influence de la concurrence maintenant mondiale, les crises que cette même concurrence provoque font que le processus social apparaît comme un sort aveugle. La fortune des fortunés dépend de facteurs qu'ils ignorent et ne peuvent pas maîtriser, et une masse d'hommes de plus en plus considérable est vouée à un travail parcellaire et insensé pour eux, à une insécurité permanente qui les exclut, simples instruments, sujets interchangeables, de tout accès à la condition de ceux qui possèdent un métier ou un capital et qui, conscients de leur dignité d'hommes reconnus dans la société, vivent une morale concrète, ont une religion, une famille aussi longtemps que la crise ne les précipite pas dans la masse. Concentration des capitaux, prolétarisation continue, pour employer des termes modernes, décomposent la société nationale de l'intérieur et révèlent des contradictions qu'elle ne sait surmonter.
Hegel n'a pas été le premier à constater cette dialectique de la société capitaliste industrielle : Saint-Simon, Comte, Ricardo la discernent également ; mais tandis qu'ils attendent la solution d'une abolition de l'État historique au profit de la société par l'action de ceux qui comprennent le mécanisme socio-économique et y occupent les places décisives (à moins qu'ils ne désespèrent de toute solution sinon par une restauration du passé organique : Sismondi, de Maistre, Bonald), Hegel attend précisément du gouvernement, en fait d'une administration neutre sur le plan social, la guérison des maux : l'État seul est capable de voir la structure de la société moderne, internationale ou supranationale par suite de la concurrence universelle, de prévoir, de défendre les intérêts de la société particulière, de maintenir le droit à l'intérieur, l'indépendance à l'extérieur (par la guerre s'il le faut), d'imposer aux riches une conduite qui tienne compte de l'honneur de tous et de chacun, à la société en sa totalité les sacrifices qu'exige la dignité nationale, fondement de la dignité des citoyens. L'État est et reste un appareil de contrainte, mais de contrainte à la rationalité et à la morale de la dignité de l'homme, d'un homme qui sera libre et se saura libre parce que rien ne lui sera imposé qu'il ne puisse[...]
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Écrit par
- Éric WEIL : professeur à l'université de Nice
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