POLITIQUE Le pouvoir politique
Degrés et modes d'organisation
L'histoire et l'ethnographie fournissent à l'anthropologie politique une multitude d'informations sur la vie politique d'un grand nombre de sociétés globales. Les modalités d'organisation du pouvoir souverain y sont très diverses : dans ce foisonnement il est difficile de mettre de l'ordre et de la clarté. On peut cependant repérer une échelle graduée des degrés d'organisation et quelques variables essentielles qui définissent les types d'organisation ou régimes politiques.
Les sociétés humaines connues peuvent être rangées suivant un ordre de différenciation et de spécialisation croissantes des rôles politiques. Dans certaines d'entre elles, qui ont subsisté jusqu'au xxe siècle, ces deux dimensions sont réduites à un minimum qui tend vers zéro : il en est ainsi d'Indiens des forêts du Brésil avant leur mise en « réserves » ou leur extermination, des Esquimaux avant leurs premiers contacts avec les Européens ou les Américains, des Pygmées africains, des Tchouktchi du Nord-Est de la Sibérie et des autochtones des îles Andaman en Asie du Sud-Est, des Turkanas du Soudan méridional. Dans ces sociétés à pouvoir minime, certains notables peuvent prendre temporairement de l'influence sur leur groupe ou acquérir du prestige, mais nul n'a le privilège de décider et de commander. Le respect de coutumes incontestées, la crainte de sanctions surnaturelles ou de la réprobation publique, le droit de vengeance ou le recours à la médiation en cas de litige suffisent à la régulation sociale.
Dans les sociétés à pouvoir diffus, les rôles politiques ne sont pas spécialisés : ils sont mêlés à divers autres rôles sociaux et, pour ainsi dire, dilués. Il n'y avait pas de gouvernants chez les Lobi de la Haute-Volta, mais certaines décisions souveraines étaient prises par le prêtre de la Terre, d'autres par les chefs de marchés, d'autres encore par les magiciens des différentes confréries ou par les prêtres des funérailles.
Dès qu'une personne ou un petit groupe se trouve quelque peu spécialisé dans un rôle de direction des actions collectives ou de régulation sociale qui dépasse les limites d'un lignage ou d'un village, on est en présence d'une chefferie restreinte. Les quatre groupes locaux et les huit groupes de parenté de l'atoll d'Ifalik (Micronésie), observés par M. E. Spiro et E. G. Burrows en 1947-1948, formaient une société globale qui obéissait à un collège de cinq chefs hiérarchisés quant au prestige, mais non quant au pouvoir : ils prenaient des décisions unanimes pour les grandes entreprises collectives (expéditions de pêche en pleine mer, construction de pirogues), pour le blâme ou la punition des méfaits et la conciliation des lignages en litige. Mais ces chefs ne disposaient d'aucune « administration », d'aucune « force publique ». Seule leur autorité traditionnelle soutenue par le consensus de l'opinion publique leur permettait de se faire obéir. Dans les sociétés indiennes d'Amérique, selon P. Clastres, le chef « n'est jamais assuré que ses « ordres » seront exécutés ; cette fragilité permanente d'un pouvoir sans cesse contesté donne sa tonalité à l'exercice de la fonction : le pouvoir du chef dépend du bon vouloir du groupe » (Échange et pouvoir).
Si l'on observe une sorte de division du travail entre les gouvernants et si ceux-ci sont assistés d'agents subalternes et spécialisés, on peut parler d'une chefferie développée, tantôt monarchique (par exemple, chez les Azande d'Afrique centrale, les Trobriandais de Mélanésie ou dans la France mérovingienne), tantôt oligarchique (comme chez les Cheyennes de la Prairie nord-américaine). On peut réserver le nom d'État à une organisation complexe[...]
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Écrit par
- Jean William LAPIERRE : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de l'université de Nice
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