POLYCHROMIE, histoire de l'art
La redécouverte de la polychromie antique
Le blanchiment de l’Antique
Tout au long du Moyen Âge, les pratiques polychromes se poursuivent et se diversifient, tant dans l’art profane que religieux, en Orient et en Occident. Si le christianisme triomphant accorde une place prépondérante à la lumière, celle-ci n’est pas monochrome. L’or et les couleurs s’affichent sur les portails et surtout à l’intérieur des églises. Le décor de la basilique de Sainte-Sophie, reconstruite par l’empereur Justinien, à Constantinople, au début du vie siècle, déploie une riche polychromie, sur le sol, les murs et les voûtes, grâce à l’usage de pierres colorées, de peintures et de mosaïques à fond d’or. À partir du viiie siècle, la querelle iconoclaste conduit les Byzantins à proscrire l’usage de sculptures pour la représentation du divin : les icônes remplacent alors les images en ronde-bosse, mais en conservent les couleurs.
En Occident, le goût pour les marbres et les métaux perdure, mais la gamme des techniques s’élargit : vitrail, bois polychrome, cire peinte, terre cuite vernissée (qui apparaît à la fin du Moyen Âge)... La sculpture gothique se caractérise par deux types de polychromie, l’une réservée au bois et aux pierres tendres, l’autre aux matériaux plus précieux, comme le marbre, l’ivoire et l’albâtre : dans le premier cas, l’enduit coloré couvre toute la surface, dans le second, les rehauts de couleurs sont plus limités et mettent en valeur la teinte naturelle du matériau. La restauration de la Vierge à l’enfant de Toulouse, connue sous le nom de Nostre Dame de Grasse (env. 1460-1480, musée des Augustins), a révélé sa polychromie d’origine : la statue en calcaire était entièrement peinte et rehaussée de dorure, et les analyses ont montré que la chevelure et les vêtements de la Vierge et de son enfant ont changé de couleurs lors de repeints ultérieurs, à l’époque moderne.
Des critiques ont surgi face à l’omniprésence des couleurs. Le clerc Bernard de Clairvaux (xiie siècle) dénonce, par exemple, la polychromie des images saintes, parce qu’elles exercent une attraction sensuelle sur le fidèle et le détournent du chemin qui mène à Dieu. Quelques siècles plus tard, la Réforme promeut un modèle alternatif, fondé sur la recherche de la simplicité et la valorisation de la monochromie.
Quant aux vestiges antiques, qui ne sont plus entretenus, ils finissent de perdre leur parure colorée. Leur aspect contraste alors avec la polychromie des productions médiévales. Lorsque la Renaissance essaie de renouer avec Antiquité, elle a sous les yeux pour l’essentiel des œuvres blanches. En s’imposant, le modèle antique fait donc triompher la monochromie, qui incarne désormais la perfection de l’art.
C’est le courant néo-classique qui consacre finalement la blancheur comme un critère d’excellence et de beauté, les moulages en plâtre contribuant à diffuser l’image d’un idéal antique dépourvu de couleur. Lorsque Johann Joachim Winckelmann pose les fondements de l’histoire de l’art antique, il a parfaitement conscience de la présence de couleurs sur certaines œuvres qui commencent à être découvertes, en particulier à Herculanum. Pourtant, il ne considère pas la polychromie comme un critère d’analyse significatif. Il faut attendre la fin du xviiie siècle pour que le développement des voyages puis des fouilles archéologiques conduise les érudits à prendre la mesure de son importance.
La polychromie, un débat esthétique
Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy est le premier, dans son ouvrage Le Jupiter olympien(1815), à qualifier explicitement la sculpture grecque et romaine de « polychrome ». L’étude marque un jalon essentiel dans l’histoire de l’acceptation de la polychromie de l’art grec par les savants européens, en dépit de résistances qui se prolongent au xxe siècle.
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Écrit par
- Adeline GRAND-CLÉMENT : agrégée d'histoire, maître de conférences en histoire grecque à l'université de Toulouse-II-Le Mirail
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