POLYCHROMIE, histoire de l'art
Traquer les couleurs perdues
De nouvelles méthodes d’analyse
Les recherches sur la polychromie ont considérablement progressé depuis les années 1990, grâce à des programmes de restauration et de recherches mobilisant des moyens d’investigation de plus en plus perfectionnés. Ils permettent de détecter la présence de vestiges de couleur et d’analyser la composition physico-chimique des pigments et colorants employés. On connaît ainsi la richesse de la palette utilisée sur les œuvres antiques : bleu égyptien (un pigment artificiel), goethite, hématite, malachite, noir de carbone, blanc de plomb, cinabre, azurite, laque de garance, terres vertes (surtout chez les Romains)… En recourant à des mélanges, les artisans disposaient d’une gamme étendue – même s’ils devaient l’adapter aux contraintes des supports.
La technique la plus courante consistait à appliquer les pigments à la détrempe, avec un liant organique, directement sur la surface de l’objet ou sur un engobe blanc servant de couverture préalable. La peinture à l’encaustique, documentée par les textes, semble avoir été plus rare, mais on sait que la cire pouvait servir à protéger l’enduit coloré, en particulier sur les statues en marbre. Les analyses ont aussi révélé que la pratique de la dorure était beaucoup plus fréquente que l’on ne le croyait jusque-là.
Des questionnements toujours ouverts
Si l’on ne doute plus aujourd’hui du fait que les Grecs et les Romains ont eu recours aux couleurs sur leurs statues et leurs monuments, des incertitudes subsistent. Dans le cas des temples, on ignore si toutes les parties de l’édifice recevaient un traitement polychrome. Les parois intérieures étaient-elles ornées de panneaux peints et les colonnes recouvertes d’un enduit coloré ?
Un autre point discuté concerne les statues. Les Grecs et les Romains leur donnaient-ils une carnation imitant les couleurs du vivant ? Sur les œuvres en pierre tendre, on distingue encore parfois les traces d’une coloration rosée ou brun-rouge. Mais il est plus difficile de se prononcer pour les statues en marbre. Les vestiges de polychromie observables se concentrent principalement dans les plis des vêtements ou le creux des mèches de cheveux. Les parties dénudées présentent une surface lisse et polie, sur laquelle il y a peu de chance de trouver des traces d’un éventuel enduit originel, surtout si la couche était très fine.
En fait, il est probable qu’il n’existait pas de règle générale. Des analyses ont révélé que certains kouroi archaïques en marbre avaient le corps recouvert d’ocre rouge, ce qui leur donnait ainsi un teint mat, gage de vigueur, de virilité et de bonne santé. Dans le cas des figures féminines, les artisans ont parfois pu choisir de conserver la teinte naturelle de la pierre, un teint clair étant considéré, chez la femme, comme un signe de beauté et de délicatesse.
Enfin, on s’interroge sur les modes d’application de la couleur : aplats uniformes ou nuances et modelage des teintes ? Enduit coloré opaque, couvrant ou transparent ? Il est probable que les procédés ont varié dans le temps et dans l’espace, en fonction des contextes et des effets recherchés. Des artisans de la couleur, polyvalents, pouvaient intervenir en architecture, en sculpture et en peinture ; les techniques et les matières employées circulaient alors entre ces différentes branches artistiques.
Mais la polychromie ne se réduisait pas à une technique artisanale ; elle possédait des implications culturelles fortes et contribuait à l’efficacité visuelle des œuvres et des monuments. Son étude déborde donc le champ de l’histoire de l’art : elle nous invite à réfléchir au rôle des couleurs dans la sensibilité des Anciens. C’est désormais une donnée incontournable pour qui cherche à interpréter la signification des œuvres et des monuments des Grecs et des Romains.
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Écrit par
- Adeline GRAND-CLÉMENT : agrégée d'histoire, maître de conférences en histoire grecque à l'université de Toulouse-II-Le Mirail
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