POLYEUCTE MARTYR, Pierre Corneille Fiche de lecture
Créé au théâtre du Marais en 1643, Polyeucte martyr est la première tragédie chrétienne de Pierre Corneille (1606-1684). Suivra Théodore, vierge et martyre, la seconde et dernière, en 1646. Le genre de la tragédie de saints et de martyrs, dans les années 1640, donne lieu à de nombreuses réalisations (Rotrou et Desfontaines s'y illustrent à propos de Saint-Genest) qui cherchent à représenter, sur la scène de la ville, les principes et les exemples d'une dévotion chrétienne inspirée par la Contre-Réforme. Corneille, ancien élève des jésuites et fort bon connaisseur de leur théâtre de collèges, entend bien prendre part à ce mouvement, avec toute l'originalité que ses derniers succès (Horace, et surtout Cinna) lui permettent.
Amour sacré, amour profane
Car Polyeucte n'est pas seulement une tragédie hagiographique. C'est aussi une tentative pour intégrer une réflexion esthétique à l'intérieur de la tragédie cornélienne, quitte à la rendre plus complexe, moins didactique, mais aussi plus « intéressante » pour les spectateurs et les lecteurs mondains. Corneille s'efforce ainsi de développer parallèlement la dynamique de l'aspiration au martyre et celle de « l'amour humain ». En jouant sur la contradiction du personnage éponyme, pris entre sa passion religieuse et sa passion pour Pauline, il propose un héroïsme saint, capable de bouleverser les âmes et jusqu'à l'État lui-même. Par sa conversion, par son acte violent et flamboyant, par son sacrifice enfin, Polyeucte convertit les esprits et transforme l'ordonnance politique du monde pour fonder une monarchie très-chrétienne. En renversant les idoles et en mourant pour l'avoir fait, en renonçant à la chair et à l'amour, le héros construit, par sa volonté propre, sa transfiguration : il accède à une sainteté qui ne peut trouver son actualisation que dans le sacrifice de soi, au nom de la « vraie foi ». Pour convertir un empire, il faut donc un homme brûlant, volontaire, fort, apte au sacrifice : un Grand de la religion, en quelque sorte. Mais pour conserver ce nouvel État chrétien fondé sur l'héroïsme du saint, il faudra un souverain – à l'horizon de la pièce – servi par des ministres tout entiers dévolus à leur charge politique et religieuse.
Toute bonne tragédie, fût-elle religieuse, doit comporter un début, un milieu et une fin, comme le souligne Aristote : ici la conversion de Polyeucte, notable arménien – nous sommes à Mélitène, capitale d'Arménie –, le bris des idoles, et le martyr du héros. Mais une tragédie doit aussi s'écarter de la simple structure narrative hagiographique pour intéresser : « Le songe de Pauline, l'amour de Sévère, le baptême effectif de Polyeucte, le sacrifice pour la victoire de l'empereur, la dignité de Félix que je fais gouverneur d'Arménie, la mort de Néarque, la conversion de Félix et de Pauline sont des inventions et des embellissements de théâtre », écrit Corneille dans son Abrégé du martyre de saint Polyeucte. Enfin, Corneille veillera à l'enchaînement parfait de l'ensemble : il n'y a point de pièce, selon son propre aveu, « où l'ordre du théâtre soit plus beau, et l'enchaînement mieux ménagé » (Examen de 1660).
Ainsi, puisque dans l'Histoire Polyeucte est marié, on placera le début de la fable juste après le mariage avec Pauline, fille de Félix, sénateur romain et gouverneur d'Arménie. Et l'on donnera à Polyeucte un rival en la personne de Sévère, personnage inventé, auquel Pauline était promise avant qu'il ne parte pour Rome. Pauline, maintenant mariée à Polyeucte sur l'ordre de son père, a vu en songe la mort de l'époux qu'elle a appris à chérir, et veut le préserver en le pressant de ne pas quitter le palais ; face à elle, Néarque, chrétien raisonnable mais convaincu, pousse Polyeucte[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Christian BIET : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification