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POLYGAMIE

La monogamie

L'existence de « primitifs » monogames

Alors que, pour Morgan et les évolutionnistes, la monogamie est le dernier moment d'une longue évolution, qui a commencé dans la promiscuité primitive, et caractérise les « civilisés », en opposition aux « sauvages » et aux « barbares », pour W.  Schmidt et les tenants de l'école d'ethnographie historique, c'est la monogamie qui définit l'humanité primitive. Il faut distinguer en effet entre les « vrais » et les « faux » primitifs. Les vrais primitifs, qui au moment de leur découverte en étaient encore à l'âge du Paléolithique du point de vue de leur outillage technique, et qui vivent uniquement de cueillette et de petite chasse, ne connaîtraient que la société conjugale fondée sur le mariage monogame : Semangs de Malacca, Négrilles d'Afrique, Négritos des Philippines, etc. Cependant, le père Schmidt est bien obligé de reconnaître qu'il existe chez ces peuples des cas de polygamie, si rares soient-ils ; mais, pour lui, ces quelques cas ont nettement le caractère de dérogations à la pratique commune et, lorsqu'il arrive qu'un individu ait plusieurs femmes, ce n'est jamais dans le même campement, ce qui fait que l'école d'ethnographie historique se croit en droit de conclure que, chez les « vrais » primitifs, il ne s'agit pas d'une monogamie de fait, mais bien de droit.

Cette monogamie primitive correspond d'abord aux conditions économiques de vie ; c'est elle en effet qui se prête le mieux à une équitable répartition du travail, la chasse pour l'homme, la cueillette des plantes sauvages, la cuisine et le soin des enfants en bas âge pour la femme. Ce n'est pas cependant une pure association utilitaire ; car cette famille correspond, dans la mythologie, au couple des ancêtres de la tribu, créés et unis par l'Être suprême, ce qui fait que l'on peut parler, à son sujet, d'une « institution divine ». Ce n'est qu'avec le passage de la petite chasse à la grande chasse, en Australie, que la famille individuelle se dissoudra dans le clan totémique, ou avec le passage de la grande chasse à l'agriculture que la monogamie fera place à la polygamie.

Le résultat d'une existence précaire

Il est parfaitement exact que la monogamie domine chez les « vrais » primitifs, mais il faut ajouter que ce n'est qu'une monogamie de fait, contrairement à ce que prétend l'école du père Schmidt, non une monogamie de droit. Claude Lévi-Strauss en a fait la juste remarque. Les conditions d'existence chez les Négrilles sont trop précaires pour qu'un homme puisse épouser plusieurs femmes. La polygamie n'est cependant pas défendue pour cela et un chasseur plus heureux pourra s'approprier deux femmes, car il est capable, par son habileté, de les faire vivre. Ainsi, chez les Esquimaux du Groenland, où il y a cent quatorze femmes pour cent hommes (la vie du chasseur arctique est si dure que sa mortalité est très élevée) et où, par conséquent, la polygynie de quelques-uns serait théoriquement possible, seul un excellent chasseur peut posséder plus d'une épouse ; la proportion est de un bigame pour vingt hommes. Mais il n'y a pas que l'économique qui limite la possibilité de la polygamie. Certaines formes sociales peuvent également agir, par exemple la résidence matrilocale, sauf s'il existe en même temps le sororat. L'homme devant vivre dans la famille de sa femme, travailler pour ses beaux-parents et habiter avec eux ne peut naturellement être que monogame. C'est le cas par exemple des Indiens Zuñi et Hopi de l'Amérique du Nord qui sont matrilocaux et ignorent le sororat. Mais ici encore il s'agit d'une monogamie de fait plus que de droit, car un homme pourrait épouser deux femmes, vivre par exemple six mois chez les parents de l'une d'entre elles, et six[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris-I

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