POLYGAMIE
La polygynie sororale
On commencera l'étude des diverses formes de polygynie par la polygynie sororale, d'abord parce quelle constitue le symétrique de la polyandrie fraternelle du Tibet, puis parce qu'elle est prise, dans l'œuvre de M. Granet, à un schéma évolutionniste qui nous fait relier cette forme de polygynie au mariage par groupes.
Coutume féodale de la Chine classique
Partant de la coutume moderne du sororat qui veut qu'à la mort de l'aînée la cadette est appelée à épouser son beau-frère, Granet montre que ce sororat est ce qui persiste d'une coutume féodale, la polygynie sororale, qui voulait que l'homme s'unît en mariage avec deux ou plusieurs sœurs. Les auteurs chinois soutenaient que cette obligation avait pour but d'éviter les querelles de gynécée, car seules des femmes unies par des liens de parenté ne pouvaient être divisées par la jalousie ; le noble certes pouvait acheter des concubines, mais il ne devait se marier qu'une fois et avec une seule famille, afin de permettre la stabilité des groupes de familles seigneuriales qui sont le fondement de toute politique féodale. Le noble recevait donc d'une unique famille le lot de femmes nécessaires pour qu'il puisse fournir une servante à ses ancêtres, dans le culte où la femme était prêtresse à côté de son mari. Toutefois une hiérarchie existait ; l'aînée était l'épouse principale, elle mangeait avec son mari, elle avait droit à une nuit complète d'amour, elle présidait au culte ancestral ; la cadette ne mangeait pas avec son seigneur, elle ne restait pas toute la nuit auprès de lui, elle aidait l'aînée dans le culte ancestral ; mais, si l'aînée mourait, la cadette acquérait aussitôt toutes ces prérogatives. La cadette, non les cadettes car toute une métaphysique des chiffres présidait au mariage plural, et le noble ordinaire n'avait droit qu'à deux épouses, alors que le grand officier avait droit à trois, le seigneur à neuf, le roi de neuf à douze ; surtout, ni un seigneur ni un roi ne pouvaient prendre, quel que fût leur prestige, plus de deux sœurs dans la même famille ; on complétait ce nombre en y adjoignant une ou plusieurs nièces.
Alliance à une seule famille ou mariage de groupe
C'est justement parce que la polygynie féodale chinoise n'est pas totalement sororale, puisqu'elle s'étend aux nièces, et que cette polygynie a évolué au cours du temps, que Granet suppose que ce système matrimonial qui, dans l'institution polygynique, engageait d'un seul coup un groupe de femmes et, primitivement, seulement un groupe de sœurs devait à l'origine engager d'un seul coup un groupe de frères : « Laissés à eux-mêmes, les époux prétendus eussent été incapables de réussir leur rapprochement matrimonial ; il fallait, à l'un et à l'autre, pour y arriver, la collaboration d'un suivant et d'une suivante [...], le suivant du mari aidait la femme, la suivante aidait le mari à opérer les lustrations préparatoires, la première disposait la natte où le mari s'asseyait [...], l'autre étendait celle de la femme [...]. Dans une société où la séparation des sexes est un principe fondamental, l'intimité particulière des rapports établis par ces pratiques entre des personnes de sexe différent ne peut se comprendre que s'il doit exister entre elles des rapports maritaux ; et, en effet, c'est grâce à ces pratiques que la suivante de la femme est rapprochée du mari et devient une épouse secondaire ; les mêmes pratiques ne donnaient-elles pas au suivant du mari des droits secondaires sur l'épouse [...]. Ensemble de rites incompréhensibles s'ils ne se rapportent point à un mariage de groupe, si le suivant et la suivante ne sont point unis d'un lien principal analogue au lien matrimonial que la communion[...]
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Écrit par
- Roger BASTIDE : professeur honoraire à l'université de Paris-I
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