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POLYGAMIE

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Lévirat et sororat

On a déjà rencontré deux fois le lévirat et le sororat. D'abord à propos du schéma évolutionniste des types d'alliances matrimoniales ; le lévirat, qui oblige la veuve à épouser le frère de son mari défunt, et le sororat, qui oblige un homme à épouser les sœurs cadettes de sa femme, qu'elle soit en vie ou morte, seraient pour Tylor et Frazer des survivances du mariage par groupes (pour J. F. Helennan, le lévirat serait un reste de polyandrie et le sororat la forme première de la polygynie). Ensuite, lorsqu'on s'est posé le problème de savoir comment les jeunes gens pouvaient trouver une femme dans des sociétés où les vieux et les chefs accaparent les épouses, vu que la sex ratio est en général équilibrée et qu'il n'existe pas un surplus de femmes disponibles ; le lévirat est une des solutions qui permettent alors à un célibataire d'avoir une femme avant de contracter un autre mariage ; Denise Paulme a trouvé chez les Bete de la Côte-d'Ivoire deux maris qui totalisaient quatorze épouses, mais dont cinq étaient les veuves d'un aîné.

Le cadet ou la cadette, substitut de l'aîné

Seulement, il faut bien distinguer, avec A. R.  Radcliffe-Brown, un « vrai » et un « faux » lévirat. Le premier, celui qui est décrit dans la Bible (Ruth et Booz), n'a existé que chez les Hébreux et dans l'Inde ; il ne se retrouve aujourd'hui que dans quelques populations, comme les Nuer ou les Zoulous en Afrique : lorsqu'un homme meurt et que sa femme n'a pas dépassé l'âge d'enfanter, le frère du mari doit cohabiter avec la veuve afin de lui donner des enfants ; dans le vrai lévirat, la veuve reste la femme du mort, le frère n'est que son substitut, et les enfants sont tenus pour les fils du défunt ; il s'agit de perpétuer la lignée du mort et le culte des ancêtres lignagers (Genèse, xxxviii, 9). Dans le faux lévirat, qui est beaucoup plus répandu, il s'agit d'une espèce de mesure de secours mutuel entre frères et d'un moyen d'assurer la survie des veuves, trop vieilles souvent pour travailler ; le frère alors hérite bien des femmes de son frère défunt (si elles y consentent), mais, si elles sont encore en âge d'enfanter, il sera le père légitime des enfants qu'elles lui donneront.

De la même façon, il existe un « vrai » et un « faux » sororat. Si une femme est stérile, sa femme doit obligatoirement fournir une sœur au mari, et les enfants qui naîtront alors de cette sœur seront considérés comme les enfants de la première femme. Cette coutume, que l'on trouve par exemple chez les Zoulous, constitue le vrai sororat. Mais on entend généralement par sororat la coutume qui consiste, lorsqu'une femme meurt et que le mari a paru à sa belle-famille un homme travailleur et honnête, à donner au veuf une sœur pour remplacer l'épouse défunte ; on estime, dans ce cas, que la sœur peut être pour les enfants déjà nés une bien meilleure marâtre qu'une femme étrangère.

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Le lévirat est très répandu ; cependant, il a perdu souvent son caractère obligatoire ; ainsi, chez les Thonga du sud de l'Afrique, la veuve peut choisir parmi les parents du défunt celui qu'elle devra épouser. Lorsqu'on dispose de données chronologiques sûres, on voit aussi qu'il peut évoluer au cours du temps. Par exemple, chez les Hébreux, tous les fils du frère cadet appartenaient au début au frère aîné décédé ; puis seul le premier-né de la nouvelle union appartenait au mort, recevant son nom, afin que ce nom ne disparaisse pas en Israël, et s'il n'y avait pas de frères, le père du défunt devait se marier avec la bru ; plus tard encore on restreignit le lévirat, l'héritage allant à la fille, quand il n'y avait pas de garçons ; enfin le lévirat fut finalement interdit. Le sororat est également très répandu chez les peuples agriculteurs. Il peut coexister avec le lévirat, comme chez les Hidatsa du nord de Dakota ou chez les Indiens Gralha. Le sororat peut être aussi restreint à une seulement des sœurs. Ainsi, chez les Andaman, chez les Thonga, les relations sexuelles entre un homme et la femme de son frère cadet sont interdites alors qu'il n'y a aucune prohibition pour la femme du frère aîné. Le lévirat peut exister sans sororat ; chez les Bariba du Nord-Dahomey, toutes les familles où des parents avaient pris déjà des femmes étaient interdites, et cela en vue d'obliger les polygames à multiplier les alliances avec les familles les plus diverses et mieux cimenter ainsi l'unité de l'ethnie.

Coexistence du lévirat et du sororat

Là où le lévirat et le sororat existent côte à côte, on peut noter des évolutions différentes pour l'une et pour l'autre de ces deux coutumes ; chez les Peuls, le lévirat continue à dominer et même à élargir son domaine, alors que le sororat a presque disparu des mœurs actuelles. Ailleurs, c'est le lévirat, au contraire, qui tend à disparaître. Bien souvent, là où il existe, il n'agit plus comme un droit, il est devenu une charge, le beau-frère devant fournir protection et appui à la veuve et à ses enfants plus que l'épouser à proprement parler (Tchouktche, Gourndich-Nara). En Amérique du Nord, il semble même que le lévirat soit interdit chez les Pueblo du Sud-Ouest.

Tous ces faits montrent, contre la thèse évolutionniste critiquée au début de cet article, que le lévirat et le sororat sont des institutions qui ne peuvent être comprises que replacées dans le contexte des sociétés globales dans lesquelles on les trouve et dont la signification, la fonction, ou l'évolution ne s'expliquent que par les circonstances concomitantes. Ainsi, Lowie explique bon nombre de cas de lévirat par l'achat de la femme, qui en fait un bien transmissible par héritage ; c'est ainsi que, chez les Kai, si un autre homme veut épouser la veuve, il doit une compensation pécuniaire au frère restant, ou encore que chez les Shasta de Californie les parents d'un individu s'unissent pour payer le prix de la fiancée, et acquièrent ainsi un droit secondaire sur la femme. D'autres cas s'expliqueraient par le caractère collectif que prend le mariage chez les « primitifs » comme alliance non pas entre des individus, mais entre les lignages, ce qui fait que, lorsqu'un des conjoints meurt, le défunt doit être automatiquement remplacé par un membre du groupe auquel le mort appartenait. Enfin, et cela vaut surtout pour l'Afrique, le lévirat permet, comme on l'a signalé, aux cadets privés d'épouses de trouver une femme, tandis que le sororat permet, lorsque l'épouse est stérile, à la famille de cette dernière de maintenir l'alliance contractée avec le groupe de son mari.

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris-I

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