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POLYPHONIE

Par lui-même, le terme « polyphonie » (plusieurs voix) est quelque peu déconcertant. Entré progressivement dans l'usage, tant en français qu'en allemand, où il alterne sans règles bien précises avec Mehrstimmigkeit, qui l'a précédé, il ne figure encore chez Littré en 1863 que comme terme de physique (écho polyphone) et d'assyriologie (le même signe linguistique exprimant plusieurs sons) ; il en est de même de «  homophonie », doté en plus de son sens grammatical. Au sens propre, il s'oppose à monodie, car l'usage n'a retenu ni « monophonie » ni « polyodie ». Une première ambiguïté apparaît ainsi, car le mot « voix » ne doit pas s'entendre au sens propre, mais au sens de « voix mélodique » : plusieurs voix qui chantent à l'unisson, en dépit de l'étymologie, ne font pas de la polyphonie. Celle-ci se voit définie par la marche simultanée de plusieurs parties mélodiquement différentes, qu'elles soient vocales ou instrumentales ; mais ici encore l'usage a introduit des restrictions. Du fait que la « polyphonie » de la Renaissance, faite d'un mélange homogène de voix individualisées, s'était vu supplanter, depuis le xviiie siècle, par un nouveau style dominé par une voix principale « accompagnée » d'un ensemble concertant, le mot « polyphonie », employé pour désigner la musique de cette époque, surtout au xixe siècle, s'est trouvé par contraste plus ou moins exclu des styles ultérieurs, bien que ceux-ci correspondent tout autant à sa définition première. Le mot « polyphonie », dans le cadre de la musique classique, s'est ainsi chargé d'un sens nouveau, qui implique non seulement la présence de plusieurs parties différentes, mais encore que ces parties soient d'importance égale, et qu'elles évoluent individuellement par jeux de contrepoint : un chœur fugué de Bach pourra être dit « polyphonie », non un choral syllabique pourtant à quatre voix ; une sonate d'orgue en trio de même, mais non la Rêverie de Schumann, de sorte que le mot en vient presque à prendre une valeur stylistique. On distinguerait ainsi, comme le fait Mahler, la polyphonie, ou Mehrstimmigkeit, d'une Vielstimmigkeit qui ne serait qu'une « homophonie déguisée » (verkappte), sans que la distinction ait trouvé son exact équivalent français ; de plus, l'ethnomusicologie, après avoir beaucoup parlé de polyphonie, lui préfère souvent aujourd'hui le mot «  hétérophonie », employé surtout dans les cas où plusieurs parties diffèrent en fait dans les détails, mais restent comprises par l'exécutant comme des traductions différentes d'un même schéma.

La polyphonie primitive

Que la musique non écrite des anciennes civilisations pût comporter de la polyphonie, c'est là un fait aujourd'hui bien connu, mais qui, au début du xxe siècle encore, eût soulevé l'étonnement général. On ne concevait pas en effet une polyphonie, fût-elle contrapuntique, sur d'autres principes que sur des successions de caractère harmonique, et, comme aucune polyphonie primitive ne s'appuie sur de tels principes, les rares témoignages qui en font mention n'ont guère décelé autre chose que fausses notes, imperfections ou tâtonnements informes ; il est prouvé par l'expérience que, ainsi prévenu, on peut parfaitement observer une polyphonie en croyant n'entendre qu'une monodie.

Les polyphonies primitives se répartissent selon des « zones » définies, dont on a pu dresser une carte ; celle-ci fait apparaître, de l'Océanie à l'Irlande, une sorte de cordon continu que flanquent au loin de larges taches isolées en Afrique centrale ou australe, en Amérique précolombienne ou à la pointe de l'Islande. Il existe de véritables îlots, soit géographiques ou ethniques (par exemple en Grèce,[...]

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Écrit par

  • : ancien directeur de l'Institut de musicologie de l'université de Paris
  • : professeur de composition au Conservatoire national supérieur de musique de Paris

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