POLYTHÉISME
Présupposés très chrétiens
En matière de paganisme et de polythéisme, la référence à la Grèce est souvent contraignante : celle-ci n'est-elle pas le lieu privilégié où la raison bénéficie du désistement de la mythologie et où, dans le même temps, la religion, portée par l'exigence morale, se sépare du déraisonnable et du scandaleux de la fable ? Si bien que, face à ces dieux païens si contigus à la culture chrétienne, deux attitudes se font concurrence : ou bien déclarer que les dieux de la cité sont absolument inaptes à répondre aux questions que tout homme réfléchi se pose sur le sens de la destinée humaine ; ou bien montrer dans les manifestations de la religion individuelle comment l'idéal religieux des Grecs a préparé le message évangélique. Positions, si peu exclusives l'une de l'autre qu'elles se renforcent mutuellement dans le projet intellectuel d' André J. Festugière (1898-1982), dominicain et titulaire d'une chaire de religion grecque à l'École pratique des hautes études (Sorbonne). L'auteur de L'Idéal religieux des Grecs et l'Évangile (1932 ; réédité en 1981) exprime la conviction que l'âme grecque ressentait le besoin de la lumière et de la force qu'elle devait trouver dans l'Évangile, tandis que, dans ses études sur les institutions et les cultes de la cité, le même historien découvre, dans l'interférence du politique et du religieux, un mode d'organisation sociale analogue à l'Église, mais habité par des dieux obstinément sourds à ce qu'il appelle « les questions éternelles de la conscience religieuse ». Il justifiait ainsi, par sa position d'expert, l'entreprise de Walter F. Otto, historien païen des dieux de la Grèce, qui dénonçait avec tant de vigueur les a priori enfouis par la culture chrétienne dans l'idée commune de « religion ». Ces préjugés se trouvent noués dans un faisceau trinitaire : que tout sentiment religieux naît d'un besoin de salut, aussi nécessaire que le recours à la transcendance ; que la finalité du divin est de délivrer les hommes de ce monde et de les arracher à une nature dont ils sont eux-mêmes radicalement disjoints ; que la religion est indissociable d'une relation personnelle avec la divinité et que le commerce avec le divin s'opère à travers un sujet individuel, un moi qui appréhende le sacré par la médiation de l'âme immortelle. Autant de traits qui composent le faciès d'une religion dont le christianisme est le paradigme solitaire et radicalement étranger aux systèmes symboliques de tant de sociétés vouées au polythéisme. Réciproquement, rien n'est plus incongru aux pratiques spirituelles des sociétés riches en dieux que la relation spirituelle entre une âme dotée d'immortalité et un dieu unique et personnel.
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Écrit par
- Marcel DETIENNE : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)
Classification
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