Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

POLYTHÉISME

Les structures élémentaires des panthéons

Des ensembles polythéistes, en général, on peut dire, d'une part, qu'ils constituent des systèmes de classification de puissances et de pouvoirs ; de l'autre, que ce sont des modes de pensée étroitement intriqués dans l'organisation et le fonctionnement du social et du politique. L'hypothèse initiale est qu'un panthéon n'est ni une troupe confuse, ni la juxtaposition artificielle de personnalités dont chacune pourrait revendiquer une essence propre. C'est Georges Dumézil, l'analyste des dieux du monde indo-européen, qui s'est montré le plus attentif aux données immédiates du polythéisme. Un polythéisme dont l'armature est la tripartition, avec les trois « fonctions » de souveraineté magique et juridique, d'action guerrière et de fécondité : principe de classification qui sous-tend aussi bien la mythologie, la littérature sacrée que les modèles sur lesquels se règle la vie collective et même individuelle, mais en même temps structure qui affleure au niveau théologique dans une série de données factuelles telles que les groupements des divinités, les énoncés des hiérarchies, les mises en scène de symétries, d'antagonismes ou d'affinités. Certes, tous les panthéons ne sont pas pourvus d'une charpente aussi puissante que la structure idéale des trois grands types d'activité des Indo-Européens. Dans le monde africain, où prolifèrent les constructions polythéistes, rares sont les sociétés où les figures du panthéon sont liées entre elles dans un cadre narratif, où les concepts et les puissances religieuses sont rassemblés et mobilisés dans un système relationnel global. C'est alors la vie quotidienne avec ses gestes et ses pratiques coutumières qui forme le tissu d'une mise en relation entre des puissances de rang et d'efficacité distincts. Mais il n'est pas de panthéon si démuni de discours théologique qu'il ne livre, à fleur de pratiques et dans sa plus simple inscription sur le sol, quelques autels conjoints ou l'épiphanie hiérarchisée de puissances rassemblées par une occasion fugitive. Il s'ensuit que la définition d'un dieu dans les systèmes où il y en a plusieurs, et parfois des centaines, est nécessairement différentielle et classificatoire. Un dieu ne saurait se définir en termes statiques, mais à travers l'ensemble des positions qu'il peut occuper. Sur ce terrain s'est développée une méthode d'analyse structurale, originale par son goût du concret et sa défiance envers les modèles combinatoires. Les données immédiates du polythéisme sont déjà des structures, des éléments agencés, des couples constitués de puissances ou des triades récurrentes : comme des faits élémentaires à dégager avec soin, et qui autorisent l'inventaire des structures cachées, modèles à construire depuis ceux « qui sont faits à la maison », indigènes et natifs. Ainsi, à propos de la dualité des dieux souverains du védisme, Mitra et Varuna, où d'aucuns lisaient le souvenir mythologique d'une dépossession inachevée d'un ancien grand dieu, Mitra, par un autre plus récent, G. Dumézil reconnaît un couple original de puissances antithétiques et complémentaires. Chaque aspect de Mitra implique un aspect contrasté de Varuna, aussi nécessairement que la droite suppose la gauche : et la bienveillance de l'un répond à la violence de l'autre, comme le droit à la magie et ce monde-ci à l'autre monde.

Plutôt que de découvrir l'étymologie singulière d'un dieu dans une histoire généalogique ou d'assigner à chacun une sphère de l'existence humaine qui serait le substitut d'une essence, le polythéisme impose d'analyser les puissances divines les unes par rapport aux autres, de relever leurs groupements habituels d'après l'ordre[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

Classification

Autres références

  • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Religions

    • Écrit par
    • 9 619 mots
    • 1 média
    ...outre, une analyse sérieuse des divinités secondaires permet maintenant, mais dans la faible mesure des informations disponibles, de distinguer entre un polythéisme réel impliquant une hiérarchie complexe des forces de la nature et les religions où ces forces n'ont qu'une autonomie relative et sont l'expression...
  • ANIMISME

    • Écrit par et
    • 4 102 mots
    ...mais l'espèce entière : on arrive ainsi à une divinité des rivières, à une autre de la forêt, des montagnes, etc. C'est le commencement du polythéismedes peuples « semi-civilisés », avec leurs dieux du ciel, de l'atmosphère, du vent, de l'eau, etc. Une autre ligne de développement aurait...
  • AZTÈQUES (notions de base)

    • Écrit par
    • 3 537 mots
    • 13 médias
    Le panthéon mexicain apparut aux Espagnols comme une cohorte d'innombrables démons : en effet, le polythéisme aztèque est illimité. À l'époque de la Conquista, le panthéon s'ordonne autour de deux traditions principales : d'un côté, les anciens dieux telluriques autochtones, divinités d’agriculteurs...
  • CAUCASE

    • Écrit par , , , et
    • 17 147 mots
    • 4 médias
    Le Caucase a connu et connaît encore trois types de religions : polythéisme, christianisme, islam.Les polythéismes, dont quelques pratiques et conceptions survivent encore dans plusieurs cantons montagneux, sont d'origines différentes, indigènes et indo-européennes. De la religion de la Géorgie...
  • Afficher les 15 références