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POLYTHÉISME

La pratique des dieux : autour du politico-religieux

Système de classification de puissances et de pouvoirs, les polythéismes mettent en place des modèles d'action qui sont étroitement articulés au fonctionnement de la société et aux formes d'organisation politique. Sans être jamais le reflet des structures sociales dominantes, les sociétés divines varient profondément d'un continent à un autre, des sociétés anciennes aux civilisations archaïques. Dans le monde africain, mis à part les dieux Orisa et Vodun dans la région du golfe du Bénin, les puissances divines semblent dispersées parmi les gestes de la vie quotidienne, au milieu des interdits claniques et des gloses qui en font l'exégèse, mais sans être rassemblés dans une narration continue ou mis en relation dans un discours théologique. Dieux furtifs, disséminés par des sociétés souvent veuves de centre politique. En revanche, dans le plus modeste village de l'Inde, les panthéons locaux portent l'empreinte du système des castes et de sa hiérarchie. Et, dans le Proche-Orient ancien, la centralisation des États s'accompagne d'un procès d'unification des panthéons urbains qui, en retour, dans leurs nouvelles structures, renforcent l'efficacité du pouvoir royal. Ainsi, dans le monde hittite, après les troubles du xive siècle et la reconquête militaire d'un roi fort, Tudhaliya IV réorganise les sanctuaires tombés en déshérence, restaure les cultes si profondément que la nature des dieux en est transformée. Au lieu des anciennes idoles, pierres dressées ou stèles à peine travaillées, surgissent des statues anthropormorphes de fer revêtues de métaux précieux. Désormais, les images des dieux sont domiciliées dans des sanctuaires, des temples eux aussi édifiés avec des matériaux à l'abri du temps, tandis qu'un personnel spécialisé est chargé d'entretenir le corps des dieux et de préserver l'intégrité des formes nouvelles données aux dieux. Car la statue d'une divinité est son essence, et c'est seulement en elle et par elle qu'existe une divinité.

Le remembrement du panthéon se fait au nom d'un pouvoir central qui décide des dieux communs à tous, choisit les puissances homogènes et redistribue la multiplicité des figures en grandes divinités : puissances de l'orage, dieux de la guerre, déesses de la fécondité. Des divinités aux traits bien dessinés effacent des puissances provinciales, éclipsent des puissances locales, naguère souveraines incontestées d'une source ou d'un plissement de terrain. Cette réforme est rendue possible par une administration formée dans les « maisons des tablettes », et mise en œuvre depuis le palais royal qui a levé la carte des dieux et des sanctuaires.

Dans la société grecque, au niveau de chaque cité, le religieux est étroitement intriqué dans le politique. Fonder une cité ou la colonie d'une cité, c'est, en premier lieu, offrir un sacrifice aux dieux du pays ou de la métropole. C'est entreprendre d'inscrire les marques des puissances divines sur le territoire de la nouvelle cité. Autels, statues et sanctuaires sont inséparables de l'invention de l'espace politique. Ces dieux, en configurations adéquates, sont mobilisés par chacune des pratiques de la vie sociale. Le fait est si constant que ce type de société se définit explicitement par la conjonction formulaire des « affaires des dieux et affaires des hommes », non par le sacré et le profane – évoqué par ce qui est appelé hiera et hosia –, mais par le domaine des puissances divines et ce qui est autorisé par les puissances divines, tout en étant destiné aux humains. Parallèlement, au cœur d'une société où chacun, citoyen ou magistrat, peut exercer librement les fonctions de prêtre – la prêtrise étant le plus souvent une magistrature –, un personnage[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

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