Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

POMPIER, art

Le terme de pompier, depuis les années 1970, se rencontre de plus en plus souvent sous la plume des critiques d'art. Fait capital : il ne sert plus seulement d'injure lancée au passage, mais il apparaît jusque dans les titres d'articles, de livres ou d'expositions. Certes, il reste plein d'ambiguïtés : les uns le veulent toujours péjoratif, les autres lui enlèvent tout sens critique ; tantôt il désigne simplement un type de mauvaise peinture, tantôt il s'applique à un courant nettement circonscrit dans le temps. Aucune grande exposition n'en a proposé une image claire pour le grand public. Reste une évidence : on assiste à la formation, quasi spontanée, à partir d'un terme banal, d'un concept appelé à prendre place dans l'histoire de l'art. Phénomène assez rare pour qu'il soit intéressant d'en éclairer le processus alors qu'il est encore en pleine évolution.

La genèse d'un concept

Première constatation : comme la plupart des mots appelés à s'imposer dans l'histoire de l'art (gothique, maniérisme, baroque, rococo, etc.), le terme « pompier » est à l'origine franchement dépréciatif. On n'a pu encore préciser ni le moment exact de son apparition (est-il en usage dans les ateliers de peintres dès la première moitié du xixe siècle ?), ni même son origine. Pour les uns, il est venu railler la recherche archéologique introduite par les néo-classiques (« On appela jadis pompiers les davidiens qui coiffaient de casques leurs Grecs et Romains sempiternels », Camille Mauclair, 1929) ; pour d'autres, le terme évoque les pompiers de service lors des manifestations officielles et notamment des Salons organisés à Paris. En outre, on ne peut négliger (au moins dans le succès du mot) diverses implications plus ou moins conscientes. Ainsi la nuance de moquerie qui, au xixe siècle, distingue le pompier, simple civil malgré son casque de cuivre éclatant, du véritable militaire. Et surtout la parenté avec « pompe », « pompeux », qui tend toujours à colorer le mot, et qu'ont mis en pleine évidence le glissement proposé par Hans Jürgen Hansen avec le volume intitulé Das pompöse Zeitalter. Zwischen Biedermeier und Jugendstil (Oldenburg-Hambourg, 1970), ou le terme de pompous academics sous la plume de Stuart Pivar (Art pompier..., exposition Hampstead, 1974).

Une seconde remarque s'impose : le mot ne s'accrédite vraiment qu'au moment où certaines galeries d'art et certains critiques luttent contre l'opinion pour faire reconnaître un art d'abord mal accueilli (impressionnisme, fauvisme, cubisme, école de Paris). Il se constitue ainsi une sorte de couple : «   avant-garde »/« art pompier ». D'une part, les innovations plastiques ; de l'autre, une technique servilement reçue et continuée ; d'une part, la jeunesse de l'inspiration et la fraîcheur de vision ; de l'autre, une expression figée dans une attitude officielle. Et comme la plupart des recherches de cette avant-garde sont conduites à propos du paysage, et le cas échéant du portrait ou de la nature morte, le terme « pompier » vient ridiculiser le « peintre d'histoires » qui continue à traiter les grands sujets religieux ou profanes. Le triomphe absolu des avant-gardes successives (1918-1968) voit la critique acharnée à écraser sous ce nom de « pompiers » les derniers restes de la « grande peinture ». Une attitude typique est offerte par Francis Jourdain avec le Cahier du Point (no 37) consacré à l'art officiel de Jules Grévy à Albert Lebrun (1949).

On glisse ainsi d'un sens générique à un emploi temporel plus ou moins précis. Au départ, le mot désigne un type de création : on n'hésite pas à l'appliquer, par exemple, aux peintures de Le Brun à Versailles, aux Carrache ou à la grande peinture italienne du [...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Médias

La Bataille de Grünwald, J. Matejko - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

La Bataille de Grünwald, J. Matejko

<it>Autoportrait</it>, A. Feuerbach - crédits :  Bridgeman Images

Autoportrait, A. Feuerbach

<it>Un pénitent honorable</it>, A. Legros - crédits : Peter Willi/  Bridgeman Images

Un pénitent honorable, A. Legros

Autres références

  • BAUDRY PAUL (1828-1886)

    • Écrit par
    • 547 mots
    • 1 média

    Dans le kaléidoscope de la peinture du xixe siècle, Paul Baudry représente une des tendances qui a le moins bien survécu : celle d'une peinture décorative fortement inspirée des exemples vénitiens et romains, reprenant les registres d'une mythologie aimable ou de l'allégorie la plus traditionnelle,...

  • GÉRÔME JEAN LÉON (1824-1904)

    • Écrit par
    • 469 mots
    • 3 médias

    Les honneurs dont a été couvert Gérôme, sa célébrité contrastent avec la défaveur qui suivit bientôt une carrière tard prolongée. Son hostilité à l'impressionnisme (il proteste en vain, en 1884, contre l'exposition Manet à l'École des beaux-arts où il professe, mène campagne...

  • ORSAY MUSÉE D', Paris

    • Écrit par
    • 1 223 mots
    • 1 média
    ... siècle. Pour la première fois dans l’histoire des musées français, l’art dit académique retrouve droit de cité, au terme d’une longue proscription. Les peintres « pompiers » (Jean Léon Gérôme, William Bouguereau, Alexandre Cabanel), dont les écrits d’André Malraux et de Gaëtan Picon avaient en quelque...