POMPIER, art
La remise en cause
Sur le plan géographique, une première faille est évidente. L'art du xixe siècle est par excellence international. Or non seulement le terme « pompier » ne peut se traduire en d'autres langues, mais les pays étrangers, qui acceptent volontiers la condamnation par les Français de toute une partie de la peinture du xixe siècle, refusent d'y englober leurs propres peintres, même s'ils appartiennent de toute évidence au même courant, et repoussent avec indignation ce mot de « pompier » appliqué à des gloires nationales : ainsi la Pologne pour Jan Matejko (1838-1893), membre correspondant de l'Institut, dont les immenses machines historiques étaient régulièrement présentées aux Salons parisiens, la Hongrie pour Munkácsy (1844-1900), l'Amérique pour Thomas Eakins (1844-1916), l'Allemagne pour Anselm Feuerbach (1829-1880)... Or il est impossible de louer le Banquet de Platon de Feuerbach comme l'un des grands poèmes de la peinture du xixe siècle et de condamner la Mort de sainte Geneviève de Jean-Paul Laurens comme une « grande tartine » académique. L'importance (et la cote) accordée en Angleterre et en Amérique à des Français comme Alphonse Legros ou Tissot (exposition James Jacques Joseph Tissot, 1836-1902. A Retrospective Exhibition, Toronto, 1968), parce qu'ils avaient travaillé une partie de leur vie en pays anglo-saxon, ne pouvait pas ne pas ouvrir les yeux sur leurs équivalents demeurés en France.
En deuxième lieu, le courant surréaliste a connu après la Seconde Guerre mondiale un regain d'intérêt : or, pour une grande part, il maintient l'alliance entre la technique figurative la plus traditionnelle et le primat du sujet. Il n'est pas surprenant qu'André Breton ait préfacé le livre de Ragnar von Holten, L'Art fantastique de Gustave Moreau (Paris, 1960), premier essai pour réhabiliter ce peintre longtemps regardé comme le type même du pompier, et revenu en peu d'années au rang de l'un des génies du siècle (PierreLouis Mathieu, Gustave Moreau, Paris, 1976). De son côté, Salvador Dalí, avec son outrance paradoxale mais efficace, présente dès 1967 son Hommage à Meissonier (hôtel Meurice, Paris), où il défend non seulement Meissonier et Moreau, mais Detaille, Neuville, Boldini. (« Nous allons voir l'art pompier rejaillir soudain plus vivant, frais comme la rose. ») Dans une perspective très voisine se situe la réhabilitation soudaine du symbolisme, longtemps englobé dans la condamnation de l'art pompier, et de fait inextricablement lié à lui (cf. Besnard, Ménard, Maxence, Clairin...). De grandes expositions (French Symbolist Painters, Londres-Liverpool, 1972 ; Le Symbolisme en Europe, Rotterdam - Bruxelles - Baden-Baden - Paris, 1976), des livres (Philippe Jullian, Les Symbolistes, 1973), une série de présentations monographiques (Autour de Lévy-Dhurmer, Paris, 1973 ; Henri Le Sidaner, Dunkerque, 1974 ; Maurice Denis, Paris, 1970, Zurich, 1972 ; Alphonse Osbert, Hambourg, 1979...), en faisant à nouveau apprécier le sujet, l'inspiration religieuse et même la « grande machine », entamèrent fortement la division manichéiste entre art d'avant-garde et art pompier.
En troisième lieu, il faut compter avec un phénomène caractéristique des années 1968-1978 : la mise en cause des avant-gardes. Leur triomphe avait atteint son apogée avec le gigantesque effort de New York à partir des années 1950 pour imposer au monde l'art américain, et l'idée que le centre de toute création artistique s'était désormais déplacé de Paris en Amérique. Une propagande intense fut mise au service de « nouveautés » toujours plus « surprenantes », mais aussi toujours plus simplistes et promptement démodées. Les bilans réguliers offerts par Documenta (Kassel), la riposte plus ou moins maladroite[...]
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Écrit par
- Jacques THUILLIER : professeur au Collège de France
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Médias
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