POMPIER, art
Un art réévalué
Une fois l'attention attirée, il devenait difficile de dissimuler plus longtemps les œuvres. Depuis 1939, cet art pompier si critiqué était devenu pratiquement invisible en France, à l'exception de quelques ensembles privilégiés (décors du Panthéon, de l'Hôtel de Ville de Paris). Les premiers essais pour le tirer des réserves et le montrer au public révélèrent des œuvres de belle qualité, souvent supérieures à celles que les pays étrangers continuaient à regarder comme des chefs-d'œuvre. Le premier livre important (J.-P. Crespelle, Les Maîtres de la Belle Époque, Paris, 1966) restait conçu dans un esprit ambigu : mais la qualité des planches démentait des légendes sarcastiques. L'exposition du Salon imaginaire (Berlin, 1968) vint montrer que le sujet pouvait désormais être traité avec science et sérieux. À son tour, l'exposition Équivoques (musée des Arts décoratifs, Paris, 1973), conçue au départ dans un esprit ironique, obtint un effet inverse et déterminant pour l'opinion parisienne. Sans doute, la presse demeurait hésitante ou hostile, malgré quelques exceptions clairvoyantes (article capital d'André Chastel, « Le xixe siècle est-il bon ? est-il mauvais ? », in Le Monde, 9 mars 1973) ; mais le public souhaitait des manifestations objectives et informées : vastes présentations comme Le Musée du Luxembourg en 1874, organisée par Geneviève Lacambre (Grand Palais, Paris, 1974), The Impressionists and the Salon 1874-1886 (Los Angeles-Riverside, 1974), Art Pompier : Anti-Impressionism (Hampstead, 1974) ; expositions monographiques : à l'exemple de l'exposition Gérôme (Dayton-Minneapolis-Baltimore, 1972-1973), William Adolphe Bouguereau (1825-1905), San Francisco, 1974-1975, François-Nicolas Chifflart (1825-1901), Saint-Omer, 1972 ; Alphonse Deneuville (1835-1885), ibid., 1978, Antigna (1817-1878), Orléans, 1979... Plusieurs musées (Dijon, Bordeaux, Nice) prirent l'initiative de sortir temporairement des réserves leurs collections du xixe siècle : avec un succès qui n'était pas seulement de curiosité.
Simultanément, sur le plan théorique, une série d'études venaient battre en brèche des simplifications trop facilement admises. Dans un livre qui eut un grand retentissement (The Academy and the French Painting in the Nineteenth Century, 1971), Albert Boime ébranlait fortement l'antinomie admise entre pompiers et avant-garde, en montrant que les audaces des impressionnistes se fondaient en grande part sur l'enseignement académique. D'autre part, l'assimilation simpliste – révolution plastique et révolution sociale – ne résistait pas à l'examen historique : les impressionnistes paraissent au contraire traduire les valeurs rassurantes (refus de tout expressionnisme métaphysique, nature heureuse, paysages de France, etc.) capables de plaire à la bourgeoisie, haute ou petite, d'où la plupart, en premier Manet et Monet, tenaient leur origine (« L'Impressionnisme : une révision », éditorial de la Revue de l'art, 1974), alors que les pompiers se tournaient volontiers vers les problèmes politiques et sociaux (La Grève, Le Quatorze-Juillet de Roll, La Paye des moissonneurs, Les Halles de Lhermitte, La Visite à l'hôpital de Geoffroy, La Vérité sortant du puits de Debat-Ponsan [affaire Dreyfus], etc.). Des études précises et objectives permirent de faire s'écrouler d'autres mythes tenaces : le refus obstiné opposé par les autorités officielles au legs Caillebotte, l'avant-garde acculée à la misère par les exclusives officielles, etc.
De là une situation confuse, où les enthousiasmes croisent encore les réticences. Mais la situation s'est renversée. D'une part, avant-garde n'est plus un mot magique. Si Manet, Monet, Degas, Cézanne ou Braque voient leur gloire toujours plus brillante, la révision[...]
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Écrit par
- Jacques THUILLIER : professeur au Collège de France
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Médias
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