PONTORMO JACOPO CARUCCI dit (1495-1557)
La redécouverte de Pontormo a montré que l'histoire de l'art, plus que tout autre discipline, dépend des conditions historiques dans lesquelles elle s'élabore et de l'évolution du goût. Dès Vasari, en effet, Pontormo est incompris : sa farouche volonté de solitude, son désintéressement sont considérés comme folie. Ridiculisant le grand œuvre de Pontormo, aujourd'hui disparu (les fresques de San Lorenzo), le biographe se demande quand le talent du peintre « commença[-t-il] à décroître ». Il a fallu l'émerveillement d'un chercheur américain, Clapp, au début du xxe siècle, devant la Déposition de Santa Felicità à Florence (ce tableau que Jacob Burckhardt dans son Cicerone donnait comme exemple d'œuvres « maniérées par l'abus non justifié des belles formes ou soi-disant telles ») pour que l'on s'aperçût que Jacopo Carrucci n'était ni un « décadent » ni un marginal excentrique ; ou encore, pour que le statut de sa « marginalité » changeât à mesure que l'histoire de l'art, plus historicisante, prenait ses distances vis-à-vis de la norme du style dénoté par Wölfflin comme classique. Mais très vite cette gloire tardive fut elle-même étouffée par le label d'une « école » dont on fait de Pontormo l'initiateur : malgré les ouvrages de Clapp, il devint très vite dans les manuels le premier des maniéristes, cette catégorie si commode aux historiens d'art en ce qu'elle leur offrait un fourre-tout, et ce rôle qu'on lui attribua n'a conduit qu'à l'ignorance de sa spécificité.
Ses débuts sont fulgurants : né en 1495, l'instable et précoce Jacopo passe, avant l'âge de vingt ans, par les ateliers de Léonard de Vinci, de Piero di Cosimo, d'Albertinelli et d'Andrea del Sarto, avec qui il ne reste pas longtemps, dit Vasari, le maître prenant ombrage des succès de son élève. Bien qu'il soit très actif durant ces années d'apprentissage (il participe aux nombreuses décorations festives dues à la présence du pape Léon X à Florence), Pontormo ne commence à donner la mesure de son talent qu'avec l'Annonciation (Santissima Annunziata) qu'il peint à fresque en 1514-1516. Très proche encore de Del Sarto dont il clarifie la couleur en supprimant les demi-teintes, il inscrit ses personnages dans une niche sur laquelle s'enlèvent leurs postures très volumétriques. Dans la Madone de San Michele Visdomini (1518), cette niche n'est plus qu'un manteau d'ombre pour la Vierge. Le schéma de composition est toujours classiquement triangulaire, mais l'axe symétrique est déplacé et toute la rhétorique de l'équilibre est rompue : le tableau n'unit ses figures que par leur communauté d'attitude et de physionomie (le sourire adorateur) et le clair-obscur qui ponctue la circularité centrifuge des personnages. Il y a moins de deux années entre ce retable et la lunette pour la villa des Médicis à Poggio a Caiano (entre-temps, Pontormo a peint son histoire de Joseph en plusieurs panneaux pour la chambre nuptiale de P. F. Borgherini). Dans cette grande fresque à laquelle Pontormo a travaillé sans ménagement, il se dégage de toute influence michelangélesque, abandonne toute dramatisation du récit. Le peu d'espace alloué aux figures pour leur contraposto (toute la surface étant prise par le décor naturel) annonce une rupture proche. La monumentalité frontale du double registre architectural de ce demi-cercle troué d'une fenêtre ronde, parapets sur lesquels s'appuient symétriquement huit personnages (quatre par « étage », quatre de chaque côté de l'oculus), comme suspendus dans un espace sans profondeur, est pernicieusement déconstruite par la sensualité des attitudes. La mythologie s'efface (il s'agit de Vertumne et Pomone) sous la grâce des poses.[...]
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Écrit par
- Yve-Alain BOIS : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard
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Médias
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