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PONTS

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L'histoire de la construction des ponts

L'histoire de la construction des ponts est avant tout celle des matériaux qui les constituent. Les ouvrages primitifs étaient réalisés avec des matériaux naturels tels que le bois, les lianes et la pierre. Avec des lianes, on a construit des passerelles suspendues ; avec la pierre, des ponts en poutre – une simple dalle de pierre jetée entre deux appuis – et des arcs ; avec le bois, des ponts en poutre – une série de troncs d'arbres entre deux appuis – et des treillis de plus en plus complexes, travaillant en poutre ou en arc. Des passerelles de l'Himalaya constituent même des exemples de construction par encorbellements successifs, avec des troncs d'arbre encastrés dans une culée de pierres sèches et s'avançant de plus en plus au-dessus de la brèche ; et des exemples de pont-ruban tendus entre deux rives.

Ponts en bois

Kapellbrücke - crédits : Shaun Egan/ Stockbyte/ Getty Images

Kapellbrücke

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Le bois a été le matériau le plus utilisé dans l'Antiquité et jusqu'au xviie siècle, même si nous n'en avons gardé que de rares témoignages tels que le pont de la Chapelle à Lucerne, le plus célèbre, et celui de l'Accademia à Venise. Toutefois, les historiens ont laissé la description d'ouvrages très importants : Hérodote parle de ponts sur le Nil et l'Euphrate vingt siècles avant Jésus-Christ ; Darius aurait franchi le Bosphore et Xerxès les Dardanelles sur des ponts de bateaux ; César a réalisé en huit jours un ouvrage sur le Rhin pour aller écraser les Germains en 55 avant J.-C. ; et Trajan fit construire un pont de 1 100 m sur le Danube, en 105 après J.-C., dont le dessin nous est laissé par la colonne Trajane. Le bois a encore été largement utilisé au xixe siècle en Amérique du Nord pour les grands viaducs ferroviaires.

Ponts en pierre

La pierre et la maçonnerie ont été utilisées pour des ouvrages importants et durables, depuis la haute Antiquité jusqu'à la fin du xixe siècle et même jusqu'à tout récemment en Chine, pendant la révolution culturelle. L'origine des arcs en pierre remonterait aux Sumériens, mais ce sont les Étrusques et surtout les Romains qui ont développé leur construction, acquérant une compétence technique (traité de Vitruvius Pollio) qui ne sera retrouvée qu'au xvie siècle en Italie. Les arcs primaires des ponts en grand appareil du haut Empire sont bâtis par anneaux de pierres successifs, les uns à côté des autres, pour limiter la taille des cintres ; les ponts du bas Empire sont réalisés en maçonnerie, grâce à la découverte des ciments naturels ; l'arc primaire est alors construit par rouleaux successifs. L'ouvrage est complété par les tympans qui maintiennent les matériaux de remplissage portant la chaussée. Les voûtes romaines sont en plein cintre et les portées peuvent atteindre 30 m (cf. rome et empire romain - L'art romain).

Le Moyen Âge n'apportera aucun progrès sensible (pont Bénezet à Avignon, en 1187 ; celui de Céret, en 1339), avec une forme un peu différente des voûtes en arc brisé (pont Valentré à Cahors, en 1308, celui d'Entraygues, en 1269), probablement sous l'influence des constructions orientales qui atteindront leur apogée dans l'empire turc (pont de Mostar en Bosnie-Herzégovine par Hayruddin). Il faudra attendre la Renaissance italienne pour que les voûtes soient surbaissées et les piles affinées. Le pont de la Trinité à Florence, en 1570, et celui du Rialto à Venise, en 1590, en sont des bons exemples. En France, la technique fit des progrès considérables au xviiie siècle grâce à la création du Corps des ponts et chaussées, en 1716, de l'École des ponts et chaussées, en 1747, et aux ouvrages de Jean-Rodolphe Perronet, son premier directeur (pont Georges V à Orléans en 1761 et celui de la Concorde en 1791). La construction des lignes de chemin de fer, au cours du xixe siècle, fut l'occasion de concevoir, surtout en France et en Grande-Bretagne, de grands viaducs ferroviaires en maçonnerie dont les aqueducs des xviie et xviiie siècles avaient constitué une remarquable préfiguration. La maçonnerie se découpe, des voûtes d'élégissement diminuent la masse de la construction, particulièrement au-dessus des piles. Paul Séjourné, célèbre par les six tomes de ses « Grandes Voûtes » et considéré comme le plus brillant des ingénieurs français de cette époque, a réalisé le pont Adolphe à Luxembourg sur la vallée de la Pétruse, en 1903, avec pour la première fois une dalle de roulement en béton armé, et le viaduc de Fontpédrouze, en 1911.

Le Vieux Pont de Mostar, Bosnie - crédits : Robert Everts/ The Image Bank/ Getty Images

Le Vieux Pont de Mostar, Bosnie

Le train de la Bernina - crédits : Art Wolfe/ The Image Bank/ Getty Images

Le train de la Bernina

Ponts métalliques

La construction métallique est ancienne puisque, dès le sixième siècle de notre ère, des moines bouddhistes ont bâti au Tibet des ponts suspendus dans lesquels des chaînes de fer ont remplacé les lianes. En Chine – où l'on avait déjà édifié de remarquables voûtes en maçonnerie –, un pont suspendu, qui existe encore, a été bâti dès 1706 avec une portée de 100 m. En Occident, le développement de la construction métallique date des débuts de l'ère industrielle, à la fin du xviiie siècle : un maître de forge, Abraham Darby III, construit le Coalbrookdale Bridge sur la Severn en 1779. L'ouvrage est constitué de cinq arcs parallèles en fonte. Le pont de Sunderland en Grande-Bretagne en 1796, avec une portée de 72 m, et la passerelle des Arts, réalisée par Cessart en 1803, marquent les débuts des ponts métalliques. Tous ceux qui ont été construits en fonte, jusque vers 1850, se sont effondrés, comme le pont Saint-Louis à Paris en 1939, ou ont été démolis, car ce matériau résistait mal à la traction et aux chocs.

Mais, avec le développement de la sidérurgie, le fer remplace la fonte : le fer battu d'abord, appelé fer puddlé, puis le fer directement issu de l'affinage de la fonte. Parmi les ponts les plus célèbres, celui de Britannia construit en 1850 par Robert Stephenson, avec deux portées de 140 m, est une structure tubulaire en caisson rectangulaire à âmes pleines. On peut aussi citer les constructions de Gustave Eiffel comme le pont Maria Pia à Porto, qui est un arc de 160 m d'ouverture, en 1878, le viaduc routier de Saint-André-de-Cubzac, en 1882, et le viaduc ferroviaire sur la Sioule.

Firth of Forth - crédits : Encyclopædia Universalis France

Firth of Forth

Après l'invention du convertisseur Bessemer en 1856, puis des procédés Siemens-Martin en 1867, l' acier remplace le fer. Grâce à des caractéristiques mécaniques qui ne cessent de s'améliorer, comme la limite d'élasticité de l'acier qui passe de 100 ou 150 MPa, à cette époque, à 240 MPa, puis à 360 MPa après la Seconde Guerre mondiale et à 600 MPa au moins aujourd'hui pour certains ponts japonais, les structures sont progressivement allégées. Le premier pont en acier est celui de Saint Louis sur le Mississippi, édifié par Eads en 1874. C'est le début d'une évolution extraordinaire marquée par la réalisation du célèbre pont du Firth of Forth par Fowler et Baker en 1890 qui est, à l'époque, le plus grand pont du monde avec deux travées de 521 m.

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Parallèlement à l'amélioration de la limite d'élasticité de l'acier, l'évolution de la construction métallique a été marquée par celle des modes d' assemblage et celle de la couverture des ponts. Dans les premiers ouvrages en fer et en acier, les différentes pièces étaient assemblées par rivetage au moyen de plaques couvre-joint. En dehors du supplément de poids qu'elle engendre, cette technique est chère en main-d'œuvre. Elle est aujourd'hui abandonnée au profit du soudage. Toutefois, les premières soudures se sont avérées très fragiles par temps froid : ainsi le pont de Hasselt sur le canal Albert, en Belgique, s'est effondré en 1938 sans que la moindre charge ait été placée sur l'ouvrage ; de nombreux Liberty Ships ont subi le même sort pendant la guerre ; et, au Canada, le pont Duplessis s'est écroulé en 1951, par — 35 0C. Il a donc fallu mettre au point des nuances d'acier spéciales aptes au soudage (acier A 52 Sγ Nb en France, maintenant appelé acier E355), et des conditions de soudage qui ne provoquent pas leur fragilisation (cf. métallurgie). On a ensuite utilisé des boulons, puis des boulons à haute résistance dont le principe est de serrer les pièces l'une contre l'autre, par l'intermédiaire de plaques couvre-joint. La résistance de l'assemblage est obtenue par frottement des plaques l'une contre l'autre, grâce à l'effort de serrage contrôlé produit par les boulons. Cette procédure est quelquefois utilisée pour assembler sur chantier de grands éléments de charpente en acier soudé (pont Masséna et ponts métalliques de l'échangeur de Bercy, au-dessus des voies ferrées Paris-Lyon, sur le boulevard périphérique de Paris). Mais les progrès considérables qui ont été faits dans le domaine du soudage ont fortement limité l'intérêt de cette solution. Aujourd'hui, les procédures de traçage, de découpage, de soudage et de manutention des pièces en usine sont automatisées et dirigées par ordinateur ; il s'agit de la F.A.O. (fabrication assistée par ordinateur) qui est associée à la C.A.O. (conception assistée par ordinateur) pour permettre une fabrication automatique en usine, avec des interventions humaines extrêmement réduites, à partir d'ordres découlant directement des consignes du concepteur, qui les génère sur la console de son ordinateur.

Dans les premiers ponts métalliques, la couverture – c'est-à-dire l'élément qui recouvre l'ossature métallique porteuse et qui soutient ou constitue la chaussée – était soit en bois, notamment dans les ponts suspendus, soit en tôles embouties, soit en maçonnerie. Il s'agissait alors de voûtelettes de briques appuyées sur des pièces de pont ou sur des longerons, comme dans les viaducs aériens du métro de Paris. Au début du xxe siècle, ces couvertures ont été remplacées par des dalles en béton armé, posées sur l'ossature métallique et destinées à lui transmettre les charges. Depuis plusieurs décennies, on lie cette dalle de couverture en béton armé à la charpente métallique par des connecteurs, pour qu'elle participe à la résistance de l'ouvrage en flexion longitudinale, au moins dans les zones de moment positif où la dalle est comprimée. Cela permet de diminuer la taille des membrures supérieures des poutres en acier. Les connecteurs peuvent être de plusieurs types : goujons Nelson soudés au pistolet électrique sur les semelles supérieures des poutres, cornières, arceaux... Pour les ouvrages de très grande portée (poutres de grande portée, ponts suspendus et à haubans), le souci de la légèreté a conduit à concevoir des dalles purement métalliques, constituées par une tôle raidie dans les deux directions, d'où leur nom de dalle orthotrope, contraction de « orthogonal-anisotrope ». Longitudinalement, la tôle est renforcée par des raidisseurs ouverts (plats, plats à bulbe, cornières, profils en Té...) ou fermés de diverses formes, dont la plus courante en France est celle des augets en U. Ces raidisseurs longitudinaux s'appuient sur des entretoises qui assurent le raidissage transversal, et qui sont espacées de quelques mètres, généralement 4 m en France. C'est le cas du pont de Chaumont sur la Loire, du pont de l'Alma à Paris et de celui de Cornouaille à Bénodet en 1973. Une solution intermédiaire est la dalle Robinson, peu employée aujourd'hui, constituée d'une tôle métallique sur laquelle est coulée une mince dalle de béton de 8 à 10 cm d'épaisseur, à laquelle elle est fortement connectée. Cette dalle doit être portée par des poutres longitudinales modérément espacées, ou par des pièces de pont (pont de Tancarville sur la Seine, pont d'Aquitaine à Bordeaux).

Les ponts suspendus

Pont de Brooklyn achevé - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Pont de Brooklyn achevé

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Sans oublier les ouvrages suspendus chinois, la première réalisation occidentale est un modeste pont de 21 m de portée, bâti par l'Américain James Findlay ; les câbles étaient des chaînes de fer forgé. L'invention par l'Anglais Brown, en 1817, des chaînes formées de barres articulées, appelées barres à œillets, a permis des progrès substantiels : le pont de Berwick a une portée de 137 m dès 1820, mais il est détruit six mois plus tard par le vent ; Thomas Telford construit, en 1826, le pont sur le détroit de Menai, dont la portée atteint 177 m ; il restera en service jusqu'en 1940. Les frères Seguin inventent les câbles formés de fils de fer parallèles de petit diamètre (3 mm), d'une résistance nettement supérieure aux chaînes à barres, et bâtissent le pont de Tournon sur le Rhône, en 1825, avec deux travées de 85 m ; il sera suivi d'une centaine d'autres ouvrages suspendus dans la région Rhône-Alpes. Le pont de Fribourg, édifié en 1834 par J. Chaley, a une portée de 273 m. Le record est battu en 1883 par J. Roebling avec des câbles formés de fils d'acier parallèles : la portée du pont de Brooklyn, à New York, atteint 486 m. Les câbles sont désormais en acier à très haute limite élastique. Le Français F. Arnodin invente le câble à torsion alterné obtenu en enroulant plusieurs couches de fils autour d'un premier fil rectiligne, les hélices étant alternativement dans un sens et dans l'autre. La portée du George Washington Bridge, construit par O. H. Amman sur l'Hudson à New York en 1931, dépasse pour la première fois les 1 000 m. C'est le premier grand pont suspendu moderne, mais il est moins connu que le Golden Gate Bridge, édifié par J. Strauss en 1937 à San Francisco, qui lui ravit le record avec 1 281 m. Amman le reprendra en 1964 en bâtissant le Verrazzano Narrows Bridge, à l'entrée du port de New York (1 298 m).

Golden Gate Bridge à San Francisco (États-Unis) - crédits : Engel Ching/ Shutterstock

Golden Gate Bridge à San Francisco (États-Unis)

Golden Gate Bridge - crédits : Underwood Archives/ Getty Images

Golden Gate Bridge

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De nombreux ponts suspendus se sont écroulés : celui de Berwick en 1820, et celui de la Roche-Bernard en 1840, quatre ans après son achèvement, tous les deux sous l'effet du vent. Dans ces premiers ouvrages, en effet, les pièces de pont transversales, attachées aux suspentes, n'étaient souvent reliées que par un simple platelage dans le sens longitudinal, incapable de résister aux moments de flexion transversale produits par le vent. La légèreté de ce platelage conduisait à de grandes déformations au passage des charges : le pont ferroviaire sur la Tees a dû être mis hors service pour cette raison quelques années après sa construction, vers 1830. Cette grande flexibilité avait d'autres conséquences tout aussi graves : en 1831, le pont de Broughton s'est effondré au passage d'une troupe marchant au pas cadencé, qui avait produit des vibrations forcées ; l'ouvrage de la Basse-Chaîne, à Angers, s'est écroulé en 1850 dans des circonstances semblables, bien que d'autres explications aient été avancées. À partir de 1840, les ingénieurs ont cherché à augmenter la rigidité des tabliers pour éviter ces accidents, mais ce n'est qu'à la fin du siècle, sous l'influence d'ingénieurs comme Roebling et Arnodin, que sont apparues les véritables poutres de rigidité.

L'effondrement du pont de Tacoma Narrows - crédits : Encyclopædia Universalis France

L'effondrement du pont de Tacoma Narrows

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L'effondrement du pont de Tacoma Narrows, le 7 novembre 1940, quatre mois après sa construction, mit en évidence des phénomènes aérodynamiques insoupçonnés jusqu'alors. Un vent de vitesse modérée (de l'ordre de 18 mètres par seconde) a pu produire des oscillations de flexion qui ont été entretenues et amplifiées par couplage avec la torsion de l'ouvrage, dont la période propre était très voisine. Les études aéroélastiques et de réponse aux effets du vent turbulent sont donc essentielles aujourd'hui pour les ponts de très grande portée, et conditionnent largement la conception.

Mais, actuellement, les ponts suspendus ont perdu une grande partie de leur domaine d'emploi au profit des ouvrages à haubans, dont certains ont déjà été bâtis dès le début du xixe siècle. Mais comme leurs tabliers étaient aussi insuffisants que ceux des ponts suspendus de l'époque, et qu'ils ne bénéficiaient pas de la rigidité apportée par les grands câbles porteurs, ils se sont très vite effondrés : les ponts sur la Tweed, en 1818, et sur la Saale, en 1825. Ce qui jeta un large discrédit sur ce type de structure. À la fin du siècle, des haubans furent ajoutés sur certains ponts suspendus pour faciliter la construction et rigidifier en flexion longitudinale les zones proches des pylônes : le pont de Brooklyn et celui du Bonhomme sur le Blavet en comptent un certain nombre. En France, Gisclard développa un système extrêmement proche du haubanage direct (pont de la Cassagne sur la ligne de chemin de fer de Montlouis en 1909) qui fut repris pour la construction du pont de Lézardrieux sur le Trieux en 1924. Le système fut apuré dans deux ouvrages révolutionnaires en béton : l'aqueduc de Tampul édifié par Eduardo Torroja en Espagne, et le pont sur le canal de Donzère-Mondragon bâti par Albert Caquot en 1952. Ce sont les ingénieurs allemands qui ont largement développé ce système de construction à partir de 1955, et l'ont amené à un haut degré de perfectionnement sous l'influence de Helmut Homberg et surtout de Fritz Leonhardt : le pont de Strömsund, en Suède, a été construit en 1955, ceux de Düsseldorf à partir de 1957, celui de Severin à Cologne en 1959, de Hambourg Norderelbe en 1963, de Leverküssen en 1965.

L'invention du béton

Un autre grand chapitre de la construction s'est ouvert au xixe siècle avec l'invention du béton, du béton armé et, plus tard, du béton précontraint. Les Romains utilisaient déjà des liants hydrauliques tels que les mortiers de chaux, et même de chaux hydraulique, mais la technique fut perdue avec les grandes invasions, et les constructeurs n'ont plus utilisé que la chaux grasse ou la chaux maigre pour jointoyer des ponts en maçonnerie. Chaptal en France et Parkes en Angleterre redécouvrirent les ciments naturels à la fin du xviiie siècle (pouzzolanes, roches argilo-calcaires de l'île de Sheppy), puis Vicat inventa le ciment artificiel en 1818. Mais c'est un ingénieur anglais, Apsidin, qui déposa en 1824 les brevets du ciment Portland artificiel. Bien que l'on connaisse depuis la haute Antiquité des antécédents d'armatures primitives pour renforcer des constructions en maçonnerie, le béton armé n'a été inventé que vers 1850 par Lambot, qui a fabriqué une barque en ciment armé d'un quadrillage de barres de fer et qui a déposé le brevet en 1855 (cf. béton). En 1852, François Coignet enrobe des profilés de fer dans du béton pour construire une terrasse à Saint-Denis. Mais c'est un troisième Français, jardinier à Versailles, Joseph Monier, qui a fait du béton armé un véritable matériau de construction : il a commencé par fabriquer et breveter des caisses à fleurs en ciment armé de fers ronds (1867), puis a déposé des brevets pour des tuyaux, des ponts, des passerelles (1873) et des poutres (1878). Le Français François Hennebique construit les premiers grands ouvrages : les premières dalles en béton armé en 1880, le premier grand pont en béton armé à Châtellerault en 1899 (pont à trois arches de 40, 50 et 40 m de portée), et le célèbre pont en arc du Resorgimento à Rome, sur le Tibre, qui dépasse en 1911 les plus grandes voûtes en maçonnerie avec une portée de 100 m. Si des inventeurs géniaux ont pu construire très vite en béton armé, le fonctionnement de ce matériau n'a été compris et modélisé que peu à peu par des ingénieurs allemands (Koenen, Mörsch), suisse (Ritter) et français (Considère, Mesnager, Harel de La Noe et Rabut) : le béton est fissuré dans les zones tendues de l'ouvrage où seules résistent les armatures passives, liées au béton par adhérence.

L'utilisation du béton armé s'est largement développée à partir du début du xxe siècle pour la construction de dalles de couverture, de ponts en dalle, de ponts à poutres sous chaussée à âmes pleines, ou à poutres en treillis sous chaussée (comme le pont sur le Loukos au Maroc), ou à poutres latérales en treillis (comme celui de la rue La Fayette à Paris sur les voies de la gare de l'Est, réalisé par Albert Caquot en 1928), ou de ponts en bow-string qui en constituent une forme particulière (ainsi le pont de l'oued Mélègue en Tunisie, construit par Henri Lossier en 1927, celui de la Coudette achevé par Nicolas Esquillan en 1943 avec des suspentes triangulées). Tous ces ouvrages en treillis ont été bâtis à l'imitation des ponts métalliques. Mais le béton armé est mal adapté à ce type de structures où de nombreuses pièces sont en tension : la passerelle d'Ivry, sur la Seine, en est une caricature extrême. Le domaine d'emploi privilégié du béton armé a été la construction des ponts en arc, pour lesquels le béton qui résiste bien à la compression est particulièrement adapté. Les arcs sont de plus en plus surbaissés : en 1911, Eugène Freyssinet construit le pont du Veurdre sur l'Allier avec trois arches de 68, 72,5 et 68 m de portée, élancées au quinzième, avec des articulations aux clefs. Freyssinet découvre alors le fluage du béton : la mise en compression de l'arc par enlèvement de l'échafaudage produit un raccourcissement élastique parfaitement classique, qui se poursuit dans le temps jusqu'à devenir deux ou trois fois supérieur ; le béton flue sous la charge, et les effets du retrait hydraulique s'y ajoutent. Pour compenser ces déformations inattendues, Freyssinet dispose des vérins de décintrement aux clefs. Les records se succèdent alors : pont de la Caille sur le ravin des Usses, 137,50 m (Caquot, 1928) ; celui de Plougastel sur l'Elorn avec trois arches de 172 m d'ouverture (Freyssinet, 1930) ; celui du río Esla en Espagne, 192,4 m (1942) ; celui de Sandö en Suède, qui constitue un bond en avant considérable avec une ouverture de 264 m (1943) ; celui d'Arrabida à Porto, 270 m (1963) ; celui qui franchit le río Paranà entre le Brésil et le Paraguay, 290 m (1964) ; et l'ouvrage de Gladesville à Sydney, 304,8 m (1964).

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Inventé par Eugène Freyssinet qui en dépose les brevets en 1928, le béton précontraint commence à supplanter le béton armé au milieu des années cinquante. Son principe consiste à comprimer le béton de la structure par des câbles fortement tendus ; on utilise aujourd'hui des fils et des torons de précontrainte dont la résistance à la traction est voisine de 1 800 MPa et qui sont tendus à plus de 1 400 MPa. Aux débuts de la précontrainte, Freyssinet tendait des fils de 5 mm de diamètre à 800 MPa ; une aussi forte tension initiale était indispensable pour que la précontrainte ne disparaisse pas avec le fluage et le retrait du béton, et avec la relaxation de l'acier. Si les efforts de précontrainte sont suffisants et bien placés, la totalité des sections de béton reste comprimée ; le béton ne subit plus de fissuration et l'ouvrage devient capable de supporter des charges qui, si elles étaient appliquées seules, produiraient des efforts de traction. Pour que les câbles puissent être tendus, ils sont placés dans des gaines noyées dans le béton, qui sont injectées au coulis de ciment après la mise en tension des câbles et leur ancrage à leurs extrémités ; cette injection permet de reconstituer l'adhérence et d'assurer une protection contre la corrosion. Grâce à un tracé judicieux des câbles de précontrainte, il devient possible de bâtir les structures les plus audacieuses, et surtout de développer des méthodes de construction que ne permettait pas le béton armé. Les premières réalisations de Freyssinet datent de l'avant-guerre : le renforcement de la gare maritime du Havre en 1934, les conduites pour les travaux d'Oued Fodda en Algérie en 1936. En Allemagne, quelques constructions méritent d'être signalées : le pont sur la gare d'Aue avec des barres de précontrainte extérieures au béton (Franz Dischinger, 1936) – mais il ne s'agit pas encore d'une véritable précontrainte, à cause de la faible limite d'élasticité des barres utilisées : les pertes par fluage et retrait du béton sont trop importantes, et il a fallu retendre les barres du pont d'Aue en 1962 et en 1983 avant qu'il ne s'écroule lors d'une nouvelle opération mal conduite – ; le pont-route d'Oelde en Westphalie, avec des barres de précontrainte prétendues avant coulage du béton (Wayss und Freitag, 1938) ; et l'ouvrage de Rheda-Wiedenbrück, également avec des barres de précontrainte extérieures (Finsterwalder, 1938).

Le véritable essor du béton précontraint date de l'après-guerre, avec le pont de Luzancy sur la Marne, commencé en 1941 et achevé en 1946, et avec la série des cinq autres ponts de Freyssinet sur la Marne entre 1947 et 1950 (Esbly, Annet, Trilbardou, Changis et Ussy) ; il s'agit d'ouvrages à une travée à petites béquilles obliques articulées dont la portée atteint 55 m à Luzancy et 74 m pour les cinq autres. Les ponts à travées isostatiques constitués de poutres préfabriquées et précontraintes sous chaussée se multiplient à partir de la fin de la guerre : pont de Bourg d'Oisans, 42 m en 1946 ; travées d'accès au pont de Tancarville, 50 m en 1959 ; pont du lac Ponchartrain aux États-Unis, long de 38 km et constitué de 2 232 travées de 17 m, en 1956. En Allemagne, Ulrich Finsterwalder développe la construction par encorbellements successifs à partir de 1950 (ponts de Balduinstein et de Neckarrens en 1950, de Worms en 1952 et de Coblence en 1953) : chaque fléau est construit symétriquement à partir de sa pile, par voussoirs successifs coulés dans des équipages mobiles ; lorsque le béton est durci, on tend des câbles de précontrainte, dits de fléau, d'une extrémité à l'autre du fléau pour solidariser les deux nouveaux voussoirs et assurer la résistance sous l'effet du poids propre ; puis on lance vers l'avant l'équipage mobile pour recommencer l'opération. Cette technique, introduite en France par Jean Courbon, a été utilisée pour le pont de Chazey, en 1957, et ceux de Beaucaire et de Savine. Dans ces premiers ouvrages, les fléaux étaient encastrés sur leurs piles et les travées articulées aux clefs ; mais le manque de maîtrise des efforts de précontrainte dans ces premières constructions et les effets du retrait et surtout du fluage du béton ont provoqué des déformations importantes : l'abaissement de la clef a atteint plusieurs dizaines de centimètres au pont de Bendorf sur le Rhin (par Finsterwalder en 1964, avec une travée centrale de 208 m), et il a fallu démolir certains de ces ouvrages d'avant-garde. La technique a été améliorée en France par la constitution de poutres continues, et surtout par le développement par Campenon Bernard des voussoirs préfabriqués conjugués-collés. Les tronçons de ponts en caisson – les voussoirs – sont préfabriqués sur banc et plus tard dans une cellule de préfabrication, ce qui donne de meilleurs résultats, dans la position qu'ils auront dans l'ouvrage, et en moulant le nouveau voussoir contre le précédent pour en reproduire exactement les formes. Ils sont ensuite posés avec un film de colle dans les joints entre voussoirs et des « clefs d'emboîtement » pour permettre le transfert des efforts ; la résistance est alors assurée par les câbles de précontrainte (pont de Choisy-le-Roi en 1965 ; pont d'Oléron en 1966).

Les plus grands ponts qui ont été construits par encorbellements successifs sont ceux de la baie Urado (230 m) et de Hamana (240 m, en 1977) au Japon, et celui de Brisbane en Australie (260 m en 1986) et, plus récemment, deux ouvrages norvégiens construits en béton léger avec une portée de l'ordre de 300 mètres. En France, les plus grands sont les ponts de Gennevilliers (1976) et d'Ottmarsheim (1979) avec une portée de 172 m, le viaduc de Tanus sur le Viaur (190 m, 2000) et le pont sur le Rhin, au sud de Strasbourg (205 m, 2002).

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D'autres méthodes de construction ont été développées en Allemagne : la construction travée par travée sur cintre autolanceur et la mise en place par poussage. La première méthode fait appel à un cintre outil métallique extrêmement lourd (de 200 à 600 t selon la portée de l'ouvrage et la largeur du tablier), qui peut être lancé vers l'avant en ne s'appuyant que sur la partie déjà réalisée de l'ouvrage et sur ses appuis définitifs ; une fois en place, le cintre est capable de supporter le poids de la travée à construire (pont de Bremeke et, en France, viaducs de l'autoroute Roquebrune-Menton en 1970 ; viaducs d'accès au pont de Martigues sur la passe de Caronte en 1974). Le coût des cintres autolanceurs a conduit au développement de la technique du poussage par Fritz Leonhardt (pont sur le río Caroni au Venezuela en 1964) : l'ouvrage est bétonné au sol en arrière d'une des culées, par tronçons successifs, et il est poussé vers l'avant dans son ensemble à l'aide de vérins, par étapes successives correspondant aux phases de bétonnage, après la construction d'un nouveau tronçon ou l'achèvement d'une travée. Des équipements permettent de limiter les moments de porte-à-faux dans les phases les plus défavorables (avant-bec de poussage, mât de haubanage auxiliaire ou appuis provisoires intermédiaires). Cette technique, introduite en France par Spie Batignolles, a été utilisée pour la construction de l'aqueduc de l'Abéou en 1968, du viaduc de la Boivre près de Poitiers en 1970, de ceux du Luc, du Var, de l'Oli et de la Nuec sur l'autoroute A8 près de Nice de 1972 à 1978, et a été largement diffusée depuis lors. C'est par cette méthode qu'ont été mis en place les grands viaducs en béton précontraint de la ligne Paris-Sud-Est du train à grande vitesse (viaducs de la Roche, de la Digoine, du Serein et de la Saône), puis du T.G.V. Atlantique (viaducs de Vouvray et du Cher).

Le développement de la précontrainte et de la construction par encorbellements successifs a redonné une impulsion à la construction des arcs, essentiellement sous l'influence des ingénieurs yougoslaves, Ilia Stojadinovic et Stanko Sram. Au lieu de bétonner l'arc sur un échafaudage ou un cintre – qui sont extrêmement coûteux –, ils ont construit les grands arcs de Sibenik (256 m, 1964), Pag (193 m, 1966) et surtout de Krk (244 et 390 m, 1979) par encorbellements successifs à partir des culées, en soutenant les consoles par des haubans provisoires ancrés au rocher sur les rives et déviés par les pilettes. L'idée – originaire de Grande-Bretagne – s'est largement répandue en Autriche, en Allemagne, au Japon, en Afrique du Sud et en France (pont de Trellins, en 1985, pont Chateaubriand [1991] sur la Rance, avec une ouverture de 260 m et pont du Morbihan [1995] sur la Vilaine d'une ouverture de 200 m). Une autre solution, imaginée par Ricardo Morandi, consiste à construire chacun des deux demi-arcs sensiblement à la verticale, comme on le faisait déjà pour le montage du cintre de certains arcs en béton armé, puis à les rabattre l'un vers l'autre en les retenant par des câbles (passerelle de Lussia et pont de la Storms River en Afrique du Sud) ; l'idée a été reprise en Allemagne (Argentobelbrücke, 1985).

Mariakerke - crédits : Encyclopædia Universalis France

Mariakerke

Enfin, le béton précontraint a permis la construction de quelques ponts suspendus (pont de Mariakerke en Belgique ; ) et surtout de très nombreux ponts à haubans, lointains successeurs de l'aqueduc de Tampul et de l'ouvrage du canal de Donzère. C'est l'ingénieur italien Morandi qui a édifié les premiers grands ouvrages, avec des formes lourdes et coûteuses en matière, et avec des haubans très peu nombreux (pont du lac Maracaibo en 1962, avec des portées de 235 m ; pont de Wadi Kuf, en Libye, avec une portée de 282 m en 1972). Le premier grand pont à haubans moderne en béton précontraint est celui de Brotonne, construit par Jean Muller et Jacques Mathivat (portée de 320 m, 1977) avec un haubanage réparti repris des idées de Homberg pour les ponts métalliques.

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Écrit par

  • : ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, membre de l'Académie de technologie

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Le pont du Gard - crédits : BasieB/ Getty Images

Le pont du Gard

Types de ponts - crédits : Encyclopædia Universalis France

Types de ponts

Pont de Royal Gorge - crédits : Bob Thomason/ The Image Bank/ Getty Images

Pont de Royal Gorge

Autres références

  • AQUEDUCS, Antiquité

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    De l'opus arcuatum, on passe progressivement aux grands ponts qui ont frappé l'imagination. Le plus important d'entre eux est, avec ses 48,77 m, le pont du Gard, par lequel l'aqueduc de Nîmes franchit le Gardon. D'autres approchent une hauteur similaire : le pont de l'aqueduc de Carthage sur l'oued...
  • ARCHITECTURE (Matériaux et techniques) - Fer et fonte

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    Onavait, en effet, songé, dès le xviiie siècle, au fer pour augmenter la portée des ponts ; mais le fer forgé était coûteux et fit échouer la tentative de Garin à Lyon, en 1755. Seule la fonte, par son bas prix et la simplicité de son moulage, pouvait permettre de découvrir rapidement les propriétés...
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  • CALATRAVA VALLS SANTIAGO (1951- )

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    Établi à Zurich depuis 1981 et à Paris depuis 1989, l'architecte et ingénieur d'origine espagnole Santiago Calatrava Valls s'est imposé sur la scène architecturale des années 1980 par son approche organique et même zoomorphique des structures constructives. Les siennes sont souvent inspirées par...

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