POP ART
Le pop art américain
Berceau de la société de consommation, les États-Unis sont la véritable patrie du pop ; c'est là qu'il se développa sous sa forme la plus pure et survécut le plus longtemps, influençant durablement les jeunes générations d'artistes. Le pop américain prend ses racines dans l'art populaire des peintres d'enseignes des xviiie et xixe siècles, dans le cubisme et les objets quotidiens de Stuart Davis. Mais il a aussi des sources européennes par le biais, dans les années cinquante, du néo-dadaïsme, préfiguration du pop art qui doit beaucoup à la présence à New York de Marcel Duchamp – le premier à avoir remis en cause les définitions traditionnellement idéalistes de l'art – et à l' assemblage, hérité à la fois du collage cubiste et de l'objet trouvé surréaliste, qui permet à de jeunes artistes de se démarquer de l'académisme de la New York School.
En Californie, le Funk(y) Art – Edward Kienholz, Bruce Conner – récupère les déchets de la société moderne pour en faire des assemblages volontairement repoussants ou macabres. À New York, le Junk Art exploite le rebut de la société industrielle et de consommation. Robert Rauschenberg assemble des matériaux de récupération (carton, métaux, vieux meubles) en les intégrant parfois à des compositions – mi-peinture, mi-sculpture – qu'il baptise combine paintings. Influencé par les théories aléatoires d'inspiration zen de son ami le musicien John Cage, rencontré au Black Mountain College, il compose aussi de nombreuses œuvres à partir d'images de journaux et de magazines qu'il reporte sur toile (Retroactive I, 1964), car pour lui ni « la vie ni l'art ne peuvent se fabriquer », et le peintre doit « agir dans le fossé entre les deux ».
Jasper Johns réintroduit le figuratif dans la peinture (Flag, 1954-1955). Drapeaux, cibles, cartes, plats comme la toile, sont déjà des signes : ils cernent les ambiguïtés de la peinture et contestent le lien entre abstraction et planéité picturale, considéré par le critique Clement Greenberg comme le dogme absolu du modernisme. Certes, Johns déclare s'intéresser à l'aspect formel et non au contenu référentiel de ses motifs, ce qui en fait le précurseur du minimalisme ; mais l'apparence figurative demeure et fait scandale, lors de sa première exposition personnelle, en 1958 à New York, chez Leo Castelli, qui exposera la plupart des artistes pop. Ses déclarations manifestent le souci d'un jeune peintre de se situer dans une tradition intellectuelle dont il connaît les enjeux théoriques – preuve que la jeune génération ne se contente pas de prendre le contre-pied de l'ancienne –, mais son évolution ultérieure montrera qu'il s'intéresse aussi au contenu iconographique des images, et c'est là un apport essentiel du pop art.
Même si elles se situent souvent dans le prolongement de préoccupations modernistes, ces démarches passent toutes par la réintroduction du quotidien, du figuratif ou du référentiel dans l'art et heurtent de front les sensibilités expressionnistes abstraites, comme ce geste exemplaire de Rauschenberg qui, dès 1953, efface un dessin de De Kooning (Erased De Kooning, collection de l'artiste). D'apparence nihiliste, ce geste est en réalité un acte libérateur et constructif ; et c'est pour aller plus loin dans le sens d'une libération, mais aussi d'une plus grande interaction avec le public que nombre d'artistes pop – Jim Dine, Claes Oldenburg, Robert Rauschenberg, Red Grooms – furent à l'origine du happening. On comprend que le néo-dadaïsme puis le pop aient pu représenter la déchéance de l'art, une certaine forme de facilité illusionniste réactionnaire et la collusion avec le système capitaliste, à une période et en un lieu – New York – où le dogme,[...]
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Écrit par
- Bertrand ROUGÉ : agrégé, docteur de troisième cycle, maître de conférences à l'université de Pau, directeur du Centre intercritique des arts du domaine anglophone
Classification
Médias
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