- 1. Usages contradictoires d’un mot caméléon
- 2. Pour une approche conceptuelle
- 3. Populismes latino-américains : le modèle historique du « national-populisme »
- 4. Premières modélisations des populismes
- 5. Deux types contemporains de populismes : le protestataire et l'identitaire
- 6. Populismes agraires et populismes politiques
- 7. Le national-populisme autoritaire du Front national en France : un type idéal
- 8. Le populisme entre le mythique et le médiatique
- 9. Une internationale populiste ?
- 10. Le populisme, symptôme de la crise des démocraties représentatives
- 11. Bibliographie
POPULISME
Le populisme, symptôme de la crise des démocraties représentatives
La démocratie moderne marche sur deux pieds. La souveraineté du peuple constitue le pilier populiste du régime démocratique, l’autre pilier étant le constitutionnalisme, censé encadrer et limiter l’expression de la volonté populaire tout en garantissant le pluralisme. Entre le principe de la souveraineté populaire et les présupposés normatifs de l’État de droit, les tensions sont inévitables.
Ceux qu’on appelle aujourd’hui « populistes », qu’ils se disent de droite ou de gauche, affirment vouloir redonner au peuple son pouvoir de décision, en privilégiant les consultations relevant de la démocratie directe ou semi-directe. Leurs critiques s’appliquent à la démocratie représentative comme telle, dont ils récusent le fonctionnement. Ils rêvent donc d’une démocratie absolue, ce en quoi ils donnent dans l’utopisme.
Depuis le début des années 2000, la crise des démocraties représentatives est parfois interprétée comme l’indice d’un passage à la « postdémocratie », cette dernière étant définie par la dissociation entre ce que fait un gouvernement et ce que les citoyens qui l’ont élu voudraient qu’il fît. D’où, chez les citoyens-électeurs, le sentiment d’une trahison permanente des élites gouvernantes, qui alimente leur indignation, leur colère ou leur révolte, mais aussi leurs fantasmes. Ce qu’on appelle « populisme » est avant tout une série de symptômes de cette crise et un ensemble informel de propositions, souvent floues et contradictoires, censées permettre de la surmonter. On observe que les multiples campagnes contre les mouvements et les partis populistes ne les ont pas fait disparaître de la scène. Le contraire est vrai : les critiques qu’ils ont suscitées semblent avoir augmenté leur attractivité. C’est que ces critiques sont aussitôt disqualifiées car attribuées aux élites cyniques qui feraient profession de tromper et de trahir le peuple fier et sans reproche. On ne lutte pas efficacement contre une crise profonde en se contentant d’en critiquer les symptômes.
Ce qu’il faut considérer avant tout, c’est une anxiété collective, et plus précisément une anxiété de masse fixée sur les questions identitaires, en la rapportant à la force du ressentiment contre les élites du pouvoir, de l’argent et de l’intelligence. À cet égard, on peut parler de « populisme émotionnel », réaction à l’insécurité culturelle vécue par les classes populaires. Comme l’ont montré notamment l’élection de Donald Trump, le vote en faveur du Brexit, les succès électoraux du Rassemblement national ou l’accession au pouvoir d’une coalition « antisystème » en Italie, le rejet du « politiquement correct » est devenu l’une des motivations du vote « populiste », s’ajoutant au rejet des élites en place, dont l’idéologie s’était précisément modelée sur le « politiquement correct » (multiculturalisme, discrimination positive, ouverture à l’immigration, effacement des frontières, idéalisation du postnational, etc.). L’explosion populiste marque la banalisation des politiques de la peur.
Le ressentiment et la défiance ont de puissantes traductions politiques. Tels sont les moteurs passionnels de la révolte des classes populaires contre les élites dans les démocraties occidentales, comme l’a souligné Christophe Guilluy (2022) : « La société segmentée, multiculturelle, s’est imposée. Mais avec elle, la société de la défiance. » Il y a là le fondement d’un nouveau clivage qui, sans effacer le clivage gauche-droite, l’affaiblit et le marginalise : le clivage entre gagnants et perdants de la globalisation. Nul ne peut imaginer sérieusement ce que pourrait être une démocratie postreprésentative instaurée par les perdants du village planétaire. Le retour au réel, en politique,[...]
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Écrit par
- Pierre-André TAGUIEFF : directeur de recherche au CNRS
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