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POPULISME

Pour une approche conceptuelle

Ce qui caractérise en général les populistes, c’est leur prétention à monopoliser la représentation du peuple, du peuple « authentique » (J.-W. Müller, 2016). Ils excluent par-là les élites dirigeantes, accusées de l’avoir trahi ou d’être corrompues, mais aussi certaines catégories de citoyens qu’ils accusent d’être étrangers au « vrai peuple » – d’où les dérives ethno-nationalistes des populismes dits de droite ou d’extrême droite, qui dénoncent les représentants du « faux peuple », lequel peut être affublé du rôle d’ennemi intérieur. C’est là le plus puissant mode de légitimation du populisme, dont dérive sa force de mobilisation. Mais il faut tenir compte d’un autre phénomène sociopolitique : à la trahison et la sécession des élites (C. Lasch, 1995) répond la révolte du peuple contre les élites, qui est le geste populiste visible par excellence. Lorsque l’opposition entre « ceux d’en bas » et « ceux d’en haut » s’entrecroise avec l’opposition entre ceux de quelque part et ceux de partout et de nulle part (D. Goodhart, 2017), on voit surgir des synthèses de populisme et de nationalisme. L’opposition entre « enracinés » et « cosmopolites » devient centrale. Toutefois, tout populisme n’est pas d’orientation nationaliste, et tout nationalisme ne se déploie pas sur un mode populiste.

Dans le populisme russe de la seconde moitié du xixe siècle, c'est l'orientation réformiste et « progressiste » d'un socialisme humaniste qui prévaut ; dans le populisme américain de la fin du xixe siècle, la critique du capitalisme est également liée à un souci réformiste. Les valeurs et les normes démocratiques ne sont rejetées ni par l'un ni par l'autre, qui cherchent au contraire à mieux les réaliser. Quant aux populismes latino-américains du deuxième tiers du xxe siècle, si nombre de leurs leaders peuvent être considérés comme des démagogues, ils n'en ont pas moins pris le parti ou la défense des classes populaires, mis fin (parfois provisoirement) au règne des caudillos ou barré la route à des dictatures militaires, sans remettre en cause le principe du vote selon les règles démocratiques.

L'usage rigoureux du terme ne peut être aujourd'hui que restreint : « populisme » ne peut désigner qu'une dimension de l'action ou du discours politiques. S’il naît d’une rupture plus ou moins fantasmée entre le peuple et les élites, le populisme ne s'incarne ni dans un type défini de régime politique ni dans des contenus idéologiques déterminés. Nous l'aborderons comme un style politique susceptible de mettre en forme divers matériaux symboliques et de se fixer en de multiples lieux idéologiques, prenant la coloration politique du lieu d'accueil. Il se présente aussi, et inséparablement, comme un ensemble d'opérations rhétoriques mises en œuvre par l'exploitation symbolique de certaines représentations sociales : le geste d'appel au peuple présuppose un consensus de base sur ce qu'est et ce que vaut le « peuple » (dêmos ou ethnos), et sur ce qu'il veut. Car les populistes réaffirment avec force que le pouvoir politique doit être l’expression de la volonté générale du peuple. Cependant, comme le soulignent les critiques du populisme, la volonté populaire peut être confisquée ou dénaturée par des foules en colère ou des minorités tyranniques n’obéissant qu’à leurs passions et à leurs intérêts. C’est alors qu’on assiste à la dégénérescence de la démocratie (pouvoir du dêmos) en une ochlocratie (définie comme le pouvoir de la foule, okhlos) étrangère au souci du bien commun.

Enfin, le populisme présuppose l’existence d’un leader populaire, que ses adversaires accusent d’être un démagogue sans scrupules, tel le général Boulanger, héros[...]

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Commission d’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole - crédits : Matt McClain/ The Washington Post/ Getty Images

Commission d’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole

Jair Bolsonaro et Viktor Orbán - crédits : Marton Monus/ picture alliance/ Getty Images

Jair Bolsonaro et Viktor Orbán

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