- 1. Usages contradictoires d’un mot caméléon
- 2. Pour une approche conceptuelle
- 3. Populismes latino-américains : le modèle historique du « national-populisme »
- 4. Premières modélisations des populismes
- 5. Deux types contemporains de populismes : le protestataire et l'identitaire
- 6. Populismes agraires et populismes politiques
- 7. Le national-populisme autoritaire du Front national en France : un type idéal
- 8. Le populisme entre le mythique et le médiatique
- 9. Une internationale populiste ?
- 10. Le populisme, symptôme de la crise des démocraties représentatives
- 11. Bibliographie
POPULISME
Populismes latino-américains : le modèle historique du « national-populisme »
C'est bien en référence, directe ou indirecte, aux mobilisations et aux régimes « nationaux-populistes » d'Amérique latine – des années 1930 aux années 1950 –, décrits par leurs adversaires puis conceptualisés par certains sociologues (G. Germani, 1978), que fonctionne aujourd'hui la catégorie de « populisme », avec ses connotations plutôt négatives (autoritarisme, nationalisme, paternalisme, démagogie). Dans le langage savant, le « populisme » référait, dans les années 1950, principalement aux régimes dirigés par des leaders charismatiques tels que Juan Domingo Perón (Argentine) ou Getúlio Vargas (Brésil). Le culte du peuple et de sa volonté se traduit par ce qu’on pourrait appeler le principe de l’infaillibilité du peuple. Dans son discours d’investiture de janvier 2007, le leader national-populiste Hugo Chávez le formulait ainsi : « Tous les individus sont sujets à l’erreur et à la séduction, mais pas le peuple, qui possède en lui un degré éminent de conscience de son propre bien et la mesure de son indépendance. Parce que son jugement est pur, sa volonté est forte et rien ne peut le corrompre ou l’impressionner. » Infaillible et incorruptible, tel est le peuple dont le grand leader populiste prétend savoir entendre et comprendre la voix.
Afin d'en esquisser une définition descriptive, on peut énumérer les principales caractéristiques des populismes latino-américains. Nous en retiendrons huit :
– Une capacité de mobilisation des classes populaires, dont on présuppose l'état de « disponibilité ».
– L'hyperpersonnalisation des mouvements et des régimes de type populiste (sur le modèle du péronisme, du gétulisme, du cardénisme, du chavisme, etc.).
– L'existence d'un lien personnel, affectivo-imaginaire, entre le leader charismatique et les masses. Au Venezuela, les partisans d’Hugo Chávez diffusaient des slogans tels que « Chávez est le peuple ! », « Nous sommes Chávez ! », « Les millions sont Chávez ! », « Toi aussi, tu es Chávez ! ».
– L'accent mis sur la nation et l'affirmation forte de l'indépendance nationale, s’accompagnant de la diabolisation de l’ennemi « impérialiste ». La rhétorique nationaliste et anti-impérialiste se déploie notamment dans le traitement des questions sociales et économiques.
– La mise en œuvre d'une stratégie d'intégration ou de cooptation des classes populaires afin de préserver l'ordre oligarchique. Cette stratégie s'est illustrée par l'alliance de groupes sociaux aux intérêts contradictoires, justifiée par une doctrine de collaboration de classes. Les politiques populistes de compromis ont su recourir à divers instruments qui les ont rendues populaires : une syndicalisation de masse (en Argentine, un mouvement syndical étroitement contrôlé), des réformes sociales (la réforme agraire au Mexique), la création d'emplois par des mesures protectionnistes ou la mise en place d'une couverture sociale, comme dans l'Argentine péroniste.
– Une importance plus ou moins grande accordée à ce que Perón appelait la « doctrine », discours programmatique enveloppé de nobles idéaux, remplissant une fonction de légitimation. Le désir de compromis apparaît dans la tentative de répondre à toutes les attentes, de réconcilier les intérêts opposés ; d'où l'ambigüité, l'indétermination, voire la confusion de discours idéologiques fabriqués pour diffuser le mythe de l'unité organique de la nation, justifiant la solidarité entre les classes. Dans la doctrine péroniste – le « justicialisme » – visant à satisfaire le plus grand nombre, les objectifs fondamentaux sont la défense du peuple, la consolidation de la « communauté », la protection et l'extension des « droits du travailleur »[...]
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Écrit par
- Pierre-André TAGUIEFF : directeur de recherche au CNRS
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Médias
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