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POPULISME

Premières modélisations des populismes

Dans l'ouvrage collectif Populism. ItsMeanings and National Characteristics, publié en 1969 sous la codirection de Ghiţa Ionescu et d'Ernest Gellner, le populisme était enfin pris au sérieux par la science politique, la sociologie et l'anthropologie. Il faisait l'objet d'analyses fort diverses, mais qui, tout à la fois, montraient l'importance du phénomène (doctrine et mouvement) et mettaient en évidence la relative obscurité de ce concept. À première vue, une approche du populisme en termes de psychologie politique permet de repérer un élément central commun à toutes ses définitions : la conviction qu'un complot contre le « peuple » (défini de diverses manières) est organisé par des forces « étrangères ». Le populisme apparaît dès lors comme un « anti-isme », un « négativisme » idéologique : anticapitaliste, anti-impérialiste, antiélitiste, antiurbain, antisémite, anti-immigration, xénophobe, etc.

Cette représentation négative du populisme revient à le réduire à la vision du complot, à lui attribuer en propre le « théorème des forces occultes », ainsi qu'à dénoncer en lui un « style paranoïde » (R. Hofstadter, 1995). Cette vision « libérale » et hypercritique du populisme s'est instituée en vulgate antipopuliste à partir des premiers travaux nord-américains sur le maccarthysme et ses origines lointaines (R. Hofstadter, 1995 ; D. Bell, 1955). Dans les années 1960 et 1970, une réhabilitation historiographique du populisme américain de la fin du xixe siècle a permis de corriger la vision antipopuliste du populisme : Lawrence Goodwyn (1976) a établi que, aux États-Unis, loin d'être un mouvement d'extrême droite protofasciste et antisémite, le mouvement populiste était démocratique, d'orientation réformiste et « progressiste ». C'est dans cette perspective que le populisme est aujourd'hui défendu par certains milieux intellectuels américains : réaction contre l'étatisme centralisateur et l'omnipotence de la « nouvelle classe » (l'expertocratie), le populisme implique le fédéralisme, la démocratie directe liée à l'autonomie locale et le pluralisme culturel (P. Piccone, 1991).

Cette vision antijacobine du populisme indique l'abime qui la sépare des formes autoritaires de celui-ci, impliquant la valorisation d'un État central fort, tel le populisme jacobin du Front national dans les années 1980-2010. Quand Marine Le Pen a succédé à son père Jean-Marie à la tête du Front national, en 2011, elle a repris à son compte cet héritage jacobin infléchi dans un sens nationaliste anti-immigration, tout en recentrant son offre politique sur l’idéal de la démocratie directe et le rejet du « communautarisme », impliquant celui de la société multiculturelle. Le 16 janvier 2011, elle a été explicite : « La démocratie directe est la meilleure forme de gouvernement » – la condition en étant l’existence d’un peuple culturellement homogène. Après être parvenue en 2017 au second tour de l’élection présidentielle (où elle a obtenu 33,9 % des suffrages), elle a fondé le Rassemblement national le 1er juin 2018 et, poursuivant son parcours de « dédiabolisation », a également été présente en 2022 au second tour de l’élection présidentielle (où elle a obtenu 41,45 % des suffrages). Sa stratégie idéologique se fonde sur le remplacement du clivage droite-gauche par le clivage entre « partisans de la nation et tenants de la mondialisation », entre les « nouveaux tribuns de la plèbe » et les « mondialistes ».

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Commission d’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole - crédits : Matt McClain/ The Washington Post/ Getty Images

Commission d’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole

Jair Bolsonaro et Viktor Orbán - crédits : Marton Monus/ picture alliance/ Getty Images

Jair Bolsonaro et Viktor Orbán

Mouammar Kadhafi, 1973 - crédits : Michel Artault/ Gamma-Rapho/ Getty Images

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