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PORNOGRAPHIE

C'est une entreprise infinie que de définir la pornographie et de marquer ses différences et ses similitudes avec son distingué voisin, l' érotisme. Beaucoup s'y sont appliqués et l'exercice est devenu académique. C'est que ces deux notions sont à la fois enchevêtrées et remuantes. Elles bougent à mesure que passent les siècles et, parfois, elles échangent leurs places. Dix ans ou cent ans ont suffi pour que Flaubert, Miller, Pauline Réage ou Emmanuelle Arsan cessent d'être obscènes ou pornographiques pour gagner d'autres labels : classiques ou érotiques. L'érotisme est souvent la pornographie de la veille. D'une culture à une autre, de même, les frontières de la pornographie sont variables. Les Suédois ont longtemps tout regardé sans honte ni surprise quand certains pays musulmans ou socialistes détestent le plus timide des strip-teases. Enfin, la pornographie est taillée sur mesure pour chaque individu. Chacun sécrète sa propre pornographie. Ce qui choque l'un réjouit son voisin ou le laisse de marbre.

Comment, dans ces conditions, avancer une définition stable et universelle de la pornographie ? En vérité, ce terme est étrange en ce qu'il semble privé de contenu et de contour en même temps. C'est un sac vide dans lequel chacun entasse ce qu'il veut – parfois son rêve et parfois son dégoût –, compte tenu de sa culture, de sa classe sociale, de l'éducation qu'il a subie, de ses fantasmes. Lewis Carroll a inventé le mot valise. Le mot « pornographie » pourrait passer pour un « mot poubelle » chargé de recueillir tout ce que, de l'érotisme, de la sexualité ou de la volupté, on refuse ou convoite. Robbe-Grillet résume cela par sa formule : « La pornographie, c'est l'érotisme des autres. » Et l'on pourrait ajouter cette nuance : « Dis-moi ce que tu tiens pour pornographique et je te dirai qui tu es. »

Problème de définition

L'histoire du mot « pornographie » ne fournit pas beaucoup d'indications. Restif de La Bretonne le forge, sous la forme adjectivale, en 1769, et il faudra attendre 1842 pour qu'il apparaisse comme substantif. L'apparition d'un mot nouveau n'étant jamais fortuite, on remarquera que celui-là fait son entrée au siècle des Lumières, qui est aussi celui de la curiosité, de la science et de la contestation philosophique, aux abords de la Révolution française. À l'inverse, il est clair que, si le mot était absent avant 1769, l'activité qu'il désigne était bien plus ancienne, du moins si l'on se réfère à l'étymologie.

Dionysos, mosaïque romaine, Pompéi - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Dionysos, mosaïque romaine, Pompéi

« Pornographie », venu du grec pornê (prostituée) et graphê (écriture), vise moins la sexualité que le discours qui se tient sur elle, l'image qui la présente, la symbolise, la sublime ou la dégrade, le regard qu'elle porte sur elle-même. C'est dire que la pornographie se repère tout au long de l'aventure humaine. Dans une lumière magique, religieuse, esthétique ou fantasmatique, l'acte sexuel et le jeu des corps sont représentés en tous lieux : la villa des mystères à Pompéi, les peintures du Bernin, de Boucher, de Fragonard, de Füssli, de Bellmer et de mille autres, l'art sacré de l'Inde, le dessin des Japonais, les romans de la vieille Chine, les mystères d'Éleusis, telle secte gnostique comme celle des borborites, etc. Au commencement même de l'humanité, la sexualité distribue déjà ses images, par exemple dans les grottes de Lascaux en France ou dans celles du Piauí au Brésil. Chaque fois qu'il y a sexualité, il y a représentation ; ce qui, du reste, trouble la définition proposée plus haut. Il est possible, en effet, que la sexualité humaine soit indiscernable de sa propre peinture, du discours qu'elle profère sur elle-même. On ne peut guère faire l'amour sans dire,[...]

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Dionysos, mosaïque romaine, Pompéi - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

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