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PORNOGRAPHIE

La censure et son insaisissable objet

La dispersion de telles réponses n'a pas qu'un intérêt sémantique. Elle contient des enseignements et justifie, par exemple, les embarras de la censure. Comment appliquer celle-ci à une notion qui soutient le paradoxe d'être à la fois évidente et cependant vide, à une notion qui est en même temps indestructible (puisque toutes les époques la connaissent) et volatile (puisqu'elle s'évapore ici pour recomposer une autre nébuleuse ailleurs) ? On en vient à cette conséquence que la censure ne peut être que capricieuse, changeante (ce qu'il est banal de constater : Joyce, Genet, Bataille, D. H. Lawrence, réprouvés d'abord, sont publiés en Livre de poche) et arbitraire.

L'arbitraire ici s'avoue en ce que les censeurs ne prennent même pas le soin de dessiner l'objet qu'ils frappent. Le cas du cinéma en France est assez clair. En 1975, fut créée une catégorie spéciale groupant les films pornographiques et les films incitant à la violence, qui, sous ce chef, sont victimes de restrictions sévères. Ils ne peuvent être projetés que dans des salles spéciales, les salles X, qui doivent en faire la demande, et ils supportent une fiscalité d'exception. Par ailleurs, aucune aide n'est consentie à des films dont le scénario laisse soupçonner qu'ils mériteront d'être rejetés dans le circuit X. Selon une autre disposition, les films pornographiques étrangers sont soumis à une taxe (300 000 F), ce qui revient pratiquement à interdire leur importation (l'existence de cette taxe, d'une part, encourage la production nationale en drainant une grande partie des capitaux disponibles vers la production des films pornographiques, au détriment des autres films ; d'autre part, supprime la concurrence de la production étrangère, seule capable de créer des films pornographiques de qualité, tel le très beau The Devil in Miss Jones, et voue ainsi la production française à la fadaise, à la vulgarité, au bon marché et à la laideur).

Une telle législation, en dépit de sa précision, repose, en fait, sur un lieu vide, car elle ne fournit aucune définition du film pornographique et oblige à se fier à la seule jurisprudence. Or, d'après celle-ci, les films classés X donnent à voir une activité sexuelle effective en l'absence de toute couleur supplémentaire – que cette autre couleur soit d'ordre esthétique, philosophique, affectif ou romanesque. On condamne la présentation de l'acte sexuel lorsque cet acte n'a d'autre fin que lui-même et son éternel recommencement. Ainsi le film japonais L'Empire des sens ne pouvait être enfermé dans le circuit X, compte tenu de sa qualité et de ses ambitions. Il faut préciser que la commission de contrôle peut, dans certains cas, décréter l'interdiction totale, y compris dans le circuit X, de certains spectacles. Une série de films alliant érotisme et nazisme a, en 1979, été victime d'une telle mesure. Mais là non plus il n'existe pas de définition stricte ; seul prévaut un usage qui semble exclure de tout circuit les films alliant la sexualité à l'extrême sadisme.

Et encore la censure cinématographique est-elle relativement nette. S'agissant de la littérature, on pénètre dans un labyrinthe inexplorable. Une zone réservée a été instituée, avec la réglementation touchant les sex-shops. Ces boutiques, véritables ghettos de la sexualité, peuvent proposer n'importe quel livre, ainsi que des objets fétichistes ou du matériel théâtralement sadique, pour la raison qu'elles sont interdites aux mineurs. La littérature qui s'y débite en toute liberté est produite par des éditeurs qu'il est presque impossible de définir. Elle est d'une sottise, d'une monotonie et d'une laideur extrêmes. Au contraire, dès qu'un ouvrage, par sa tenue littéraire, échappe au circuit des sex-shops,[...]

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Dionysos, mosaïque romaine, Pompéi - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

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