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PORNOGRAPHIE

Les trois mutations de la pornographie contemporaine

Cela ne veut pas dire que la vague pornographique actuelle ait déferlé sur le monde bien avant le milieu du xxe siècle. Ce qui se passe aujourd'hui – depuis les années cinquante pour des pays comme la Suède et, par la suite, les États-Unis, et depuis les années soixante-dix pour la France et quelques autres pays – paraît former un phénomène sans précédent. La pornographie a ainsi connu, en effet, une série de mutations radicales qui l'ont transformée elle-même et dont l'examen aidera à proposer une image de cet étrange objet.

Sa première mutation consiste dans le fait qu'elle s'est démocratisée. Aux périodes classiques, les livres licencieux ou légers étaient chers, réservés à un petit nombre d'amateurs appartenant aux milieux aristocratiques, aisés, blasés, intellectuels. Les textes ou les images qu'on leur offrait étaient l'œuvre d'artistes excellents, très raffinés. La pornographie populaire s'exprimait de préférence par des plaisanteries de corps de garde, des chansons d'après boire, des images égrillardes, des graffiti sauvages, des histoires drôles, quelquefois savoureuses, mais en tout cas scatologiques et phallocratiques. La démocratisation contemporaine de la pornographie a entraîné un abaissement considérable de la qualité, tout au moins en ce qui concerne les textes et images réservés aux sex-shops et aux cinémas X.

La deuxième mutation tient à ce que les ouvrages érotiques, qui jadis et naguère circulaient « sous le manteau », dans l'ombre, ne sont plus « hors la loi » aujourd'hui, et (qu'ils soient complètement libres ou qu'ils soient contrôlés) on verra que cela n'est pas sans effet sur leur contenu même.

Également décisive, la troisième mutation de la pornographie s'est opérée par le fait qu'elle s'est donné un support privilégié, le cinéma. Tout se passe comme si l'image animée et la salle obscure, avec sa solitude, ses complicités un peu moites, étaient parfaitement adéquates à la représentation du plus intime, du plus interdit et du plus anciennement refoulé. On pourrait même se demander si le cinéma, par essence, n'est pas un art pornographique, un art de voyeurs – dont le film X ne serait que l'exaspération, le point d'incandescence – et aller jusqu'à prétendre que la pornographie ne devait découvrir son propre visage que grâce à l'invention du cinématographe. Cette connivence avec le cinéma est de beaucoup de conséquence pour la pornographie. Celle-ci est modelée par les capacités techniques du cinéma : gros plan et travelling, montage et bruitage, couleur. Le film peut montrer non point le symbole, l'équivalent langagier ou dessiné d'une copulation, mais la copulation elle-même, comme il peut représenter l'intime et le jamais vu des corps. Ainsi s'explique ici la tentation du réalisme – ou plutôt du super-réalisme, car le montage, en livrant des scènes réelles tournées à des moments différents, peut les accumuler au point qu'elles en deviennent quasi fantasmatiques. C'est même par là que le cinéma diffère du théâtre érotique, qui, lui, est limité par les capacités des comédiens. Son impérialisme s'exerce, en outre, par le fait qu'il constitue un art de la vue, du regard, de sorte que la pornographie contemporaine est fondée, plus que par le passé, sur le regard – ce dont fournissent confirmation les livres qui sont vendus dans les sex-shops et qui, avec un texte filiforme et très pauvre, recourent très largement à l'illustration.

Ces mutations ont transformé la pornographie jusqu'à en faire un objet inédit, qui n'a à peu près plus rien à voir avec les ouvrages qui étaient marqués, hier, d'infamie (la plupart des livres écrits avant 1950 ne « méritent » plus[...]

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