PORT-ROYAL
Port-Royal ne fut pas en tout point exceptionnel : bien d'autres institutions monastiques s'épanouirent au xviie siècle, dans le climat de ferveur qui suivit les guerres de religion. La règle qui s'y pratiquait, les usages de la vie conventuelle, les formes de la piété ne différaient guère de ce qui pouvait s'observer dans d'autres excellentes maisons. Port-Royal est d'abord un monastère catholique de l'époque de la Contre-Réforme, exemplaire à beaucoup d'égards.
Il est vrai pourtant que sa destinée fut hors de pair et il importe d'en dégager les raisons. La première tient au rayonnement des puissantes personnalités qui ont été mêlées à son histoire, de celles d'abord dont il est véritablement l'œuvre, la mère Angélique Arnauld et l'abbé de Saint-Cyran. On invoquera ensuite le jansénisme, dont le monastère aurait été le siège. La question devient ici plus complexe, embrouillée qu'elle a été par des siècles de polémique. Plutôt que l'adhésion à une certaine doctrine de la grâce, ce qui caractérise Port-Royal, c'est un certain esprit. Tandis que la majeure partie de l'Église catholique, avec les Jésuites pour aile marchante, s'engageait sur la voie d'un compromis entre humanisme et christianisme, Port-Royal tendait à affirmer l'absolu de Dieu, le néant de l'homme sans Dieu, la non-valeur d'une société sans Dieu : attitude archaïque par son antihumanisme, moderne par la promotion de l'individu qu'elle favorisait indirectement. Le heurt de ces deux tendances, la brutale persécution dont la seconde fut l'objet ont fait de Port-Royal un symbole. Mais ce grand destin n'aurait pas tenu la même place dans la culture occidentale s'il n'avait été illustré par de grands écrivains. Port-Royal appartient à l'histoire de la pensée et des lettres. Pascal s'y est épanoui ; Racine s'y est formé. Les écrits qu'il a suscités constituent un ensemble d'une valeur exceptionnelle, depuis les naïfs Mémoiresde Fontaine et le pieux Abrégé de Racine jusqu'au chef-d'œuvre monumental de Sainte-Beuve et aux travaux majeurs de la recherche contemporaine. Il n'est pas d'époque qui n'ait cherché à se définir par rapport à Port-Royal.
La mère Angélique et la réforme de Port-Royal
C'est en 1204 que le lieu dit Port-Royal, situé dans la vallée de Chevreuse, devint le siège d'un monastère de femmes, de l'ordre de Cîteaux. Ayant traversé le Moyen Âge dans une relative obscurité, ayant cédé peu à peu au relâchement, la maison ne commence à appartenir véritablement à l'histoire qu'avec l'entrée, en 1599, comme coadjutrice d'une abbesse dont elle allait bientôt recueillir la succession, de Jacqueline Arnauld, âgée de huit ans, la future mère Angélique. Épisode qui manifeste une confusion significative entre le spirituel et le temporel. La famille Arnauld professait un catholicisme sincère. Cependant, Antoine, le père, avocat du roi, ne s'était pas fait scrupule de profiter des biens de l'Église et de la faveur d'Henri IV pour établir Jacqueline, ainsi qu'une autre fille, Jeanne, la future mère Agnès, et de tourner par fraude les canons interdisant de nommer une abbesse d'un âge si tendre. Jacqueline, pour sa part, n'éprouvait aucune vocation, et ses premières années de couvent s'écoulèrent dans l'ennui, tempéré par de fréquentes visites de sa famille, qui considérait un peu Port-Royal comme un bien personnel.
Comment ce climat si « mondain » allait-il se transformer ? De l'aspiration à un renouveau religieux qui caractérise le début du xviie siècle, la mère Angélique témoigna d'une manière éclatante. L'abbesse-enfant, devenue adolescente, reçut, au hasard des prédications[...]
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Écrit par
- Jean MESNARD : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur de littérature française à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Média
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