PORTRAIT
Autrefois, le mot « portrait » évoquait une personne – homme, femme ou enfant –, figée dans une pose qu'il avait fallu « tenir » devant un artiste prenant des croquis dont ensuite il faisait soit une peinture, soit une sculpture ou une gravure ressemblant autant que possible au « modèle ». Le subtil Littré qui habituellement nuance à souhait put ainsi écrire tranquillement que le portrait était « l'image d'une personne faite à l'aide de quelqu'un des arts du dessin ». Trahi par ce souci de la précision du moyen, il n'inclut pas dans sa définition le portrait littéraire et la photographie. Le Larousse, plus moderne et qui pense à la photographie, emploie à propos de cette « image de la personne » (qu'il reprend) le mot « reproduite », tout en ajoutant un second sens à la définition, celui de la description. Mais s'il embrasse ainsi la totalité des moyens capables de produire un portrait, il rétrécit par l'usage des mots « reproduite » et « description » le sens même du portrait, en le réduisant à la notion d'une image nécessairement fidèle, ce dont Littré a su se garder. Tout un domaine de portraits imaginaires, parmi lesquels se classent les portraits historiques et les portraits d'auteurs placés à la tête de leurs écrits, tel Virgile ou saint Grégoire, désignés par une iconographie fixée arbitrairement, échappe, de nouveau, à la définition proposée. Quant à la fidélité ou à la ressemblance, elle est largement infirmée de nos jours par la conception du portrait moderne, et elle l'a été d'ailleurs maintes fois, également, à des époques plus anciennes. Il vaut donc sans doute mieux s'abstenir de chercher une formule globale, valable pour tous les temps et pour tous les styles. Car, suivant la civilisation dans laquelle il s'insère et qu'il contribue à créer, le portrait assume des fonctions qui diffèrent profondément, de même que se modifie sa nature, suivant les milieux sociaux au service desquels il se met.
La naissance d'un genre
Malgré la différence du contexte social, certaines fonctions du portrait restent constantes. Celles notamment qui, sous des formes très diverses, rattachent cette branche particulière de l'art à l'idée de la mort et de la survie. Qu'il s'agisse d'efficacité réelle ou de transmission d'un souvenir, de moyen de parvenir sans perte d'identité à la vie d'un monde ultra-terrestre ou du simple désir de léguer ses traits à la postérité, la pensée de la survie et de la conjuration de l'état éphémère préside toujours à l'exécution d'un portrait. Par ailleurs, le plaisir de contempler ses traits tels qu'ils apparaissent à l'autre a, de tout temps, constitué un puissant facteur de succès pour ce genre d'art, un des plus stables de l'histoire du monde.
En outre, d'autres fonctions sont étroitement liées à la conception religieuse qui régit une civilisation, à l'organisation de l'État ou à sa structure sociale et à l'idée que se font les représentants des différentes couches sociales du rapport existant entre le portrait et son « modèle ».
La fonction religieuse du portrait
Dans la civilisation de Sumer, des statues en pierre étaient placées dans les temples des dieux. Elles entouraient le maître du lieu, également sculpté en pierre, matériau noble par excellence, parce que rare et coûteux en ces régions. Leur fonction était d'entretenir, par leur présence permanente au sanctuaire, un service d'adoration incessant, faute duquel les rapports entre le monde des humains et le monde surnaturel risquaient de se détériorer. En dehors d'un trait uniformément commun – les yeux grands ouverts (en signe d'extase, pense-t-on) –, les statues et les statuettes provenant de ces temples (celui d'Abu à Telle Asmar, vers 2500[...]
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Écrit par
- Galienne FRANCASTEL : docteur ès lettres, professeur honoraire à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Médias