PORTRAIT, art grec
Que l'art grec, si exclusivement attaché à la représentation de la figure humaine, ait tardé à pratiquer le portrait, ce n'est un paradoxe qu'en apparence : durant toute la période archaïque et jusqu'au second classicisme du ~ ive siècle, les artistes grecs sont restés tributaires des types créés au ~ viie siècle pour des fins religieuses. Couroi et corés, quand bien même placés sur des tombes, sont fort peu individualisés. Ni Croïsos (couros trouvé à Anavyssos, Musée national d'Athènes), ni Phrasicléa (coré trouvée à Merenda, Musée national d'Athènes), dont les noms nous sont connus par l'inscription gravée sur la base, ne représentent le défunt : ils symbolisent l'être humain dans son fugace épanouissement. Un siècle plus tard, les statues de Polyclète conservent le même caractère d'idéalisation, bien qu'il s'agisse d'athlètes vainqueurs lors de concours panhelléniques : l'impersonnalité est de règle, le visage n'est pas plus important ici que le torse ou le genou ; seuls comptent les rapports entre les différentes parties du corps. Art inexpressif donc, dont le formalisme rigoureux est animé par une spiritualité qui fait de la figure humaine, ainsi abstraite de sa contingence historique, un modèle où le divin affleure.
Point de règle sans exceptions : dès l'archaïsme, quelques têtes donnent l'impression d'une individualité plus marquée. Ainsi le Cavalier Rampin (vers ~ 550 ; musées du Louvre et de l'Acropole) pourrait être l'un des fils de Pisistrate, la Tête Sabouroff (vers ~ 540 ; Staatliche Musen, Berlin) le portrait du tyran lui-même. Avec le ~ ve siècle, on sort des conjectures ; les copies du groupe des Tyrannoctones (~ 477-~ 476, musée de Naples) semblent conserver quelque chose de l'apparence réelle d'Harmodios et d'Aristogiton, et le buste inscrit de Thémistocle trouvé à Ostie est certainement la copie d'un portrait (vers ~ 460 ; musée d'Ostie) qu'il est cependant difficile de mettre en rapport avec les différentes statues de Thémistocle connues par les textes. Ceux-ci nous apprennent d'ailleurs que d'autres portraits furent réalisés durant cette première phase du classicisme (~ 480-~ 450) : Panainos, auteur d'une fresque représentant la bataille de Marathon, y représente Miltiade ; Polygnote peint Sophocle ; des statues d'Homère et d'Hésiode sont dédiées dans le sanctuaire d'Olympie. Le portrait est alors réservé, soit à des hommes d'État de tout premier plan, soit à des « intellectuels » — philosophes, écrivains et savants. Lorsqu'il s'agit de personnages antérieurs au ~ ve siècle, comme Homère ou les Sept Sages, ce sont évidemment des portraits imaginaires sans rapport avec l'apparence physique véritable de l'individu ; pour des personnages morts récemment, le sculpteur ou le peintre pouvait se fonder sur des dessins, des gravures ou des terres cuites. De toute manière, ces portraits classiques sont idéalisés ; leur but n'est pas tant de rappeler les traits d'un individu que de suggérer un caractère, tel qu'on peut le déduire d'une œuvre. Portraits spirituels, en quelque sorte, subordonnant la physionomie à l'éthos, comme le montrent assez les portraits de Socrate, dont le faciès camard de silène est transfiguré par l'humanité.
Dès la seconde moitié du ~ ve siècle, la tendance au réalisme, qui est l'une des composantes principales de l'art hellénistique, devient manifeste. Autour d'Alexandre, dont Lysippe fut le portraitiste officiel et exclusif, se développe un art de cour où la représentation du prince joue un rôle de premier plan. Même divinisés, les rois hellénistiques sont représentés avec leurs traits individuels, qui souvent n'ont rien d'héroïque : Philétairos,[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Bernard HOLTZMANN : ancien membre de l'École française d'Athènes, professeur émérite d'archéologie grecque à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Médias
Autres références
-
APELLE (IVe s. av. J.-C.)
- Écrit par Adrien GOETZ
- 2 450 mots
- 1 média
...cette perspective, la série des œuvres d'Apelle mentionnée par Pline a pu servir de réserve de sujets. Apelle excellait dans tous les genres. Le premier des portraitistes officiels, il était le seul autorisé à représenter Alexandre et fit des portraits des grands personnages de l'époque hellénistique... -
GLYPTIQUE
- Écrit par Mathilde AVISSEAU et Josèphe JACQUIOT
- 5 306 mots
- 3 médias
...qu'Alexandre l'ait jugé le seul digne de reproduire son portrait sur des gemmes, aucun camée, aucune intaille conservé ne porte sa signature, alors que des portraits de princes et de particuliers sont signés de Pheidias, Lycomède, Philon, Nicandre. À cette époque, l'iconographie prend une place prépondérante... -
GRÈCE ANTIQUE (Civilisation) - Les arts de la Grèce
- Écrit par Pierre DEVAMBEZ et Agnès ROUVERET
- 18 518 mots
- 24 médias
Parmi les œuvres de Lysippe, on citait des portraits. C'est là un genre qui, timidement apparu au ve siècle, a pris désormais, avec l'extension de l'individualisme, droit de cité dans l'art. On reconnaît en eux ce goût du général déjà mentionné : les visages sont personnels, bien sûr, et certainement... -
GRÈCE ANTIQUE (Civilisation) - Fonctions de l'image
- Écrit par François LISSARRAGUE
- 4 767 mots
- 1 média
...ainsi le contrôle de son image publique, le monnayage, reprenant le modèle des monarchies proche-orientales, diffuse largement l'effigie du souverain. On voit aussi se développer la pratique de la statue-portrait : imaginaire, comme celle d'Homère, ou plus directement inspirée par le modèle,... - Afficher les 7 références