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PORTUGAL

Nom officiel République portugaise
Chef de l'État Marcelo Rebelo de Sousa - depuis le 9 mars 2016
Chef du gouvernement Luís Montenegro - depuis le 2 avril 2024
Capitale Lisbonne
Langue officielle Portugais
Population 10 578 174 habitants (2023)
    Superficie 92 230 km²

      Article modifié le

      Art

      L'art roman et l'art gothique

      La rencontre de deux courants de civilisation dans la péninsule Ibérique, celui des Wisigoths arrivés au ve siècle et celui des Arabes dont l'invasion date du commencement du viiie siècle, a produit une civilisation originale, moçarabe, dont l'architecture religieuse du futur territoire portugais porte témoignage, particulièrement à l' église de Lourosa, près de Lamego, dans le nord du pays, datée de 912. Il faut y chercher une des sources autochtones du style roman bientôt implanté dans cette région du Portugal sous l'influence d'un courant français transmis par les moines de Cluny qui, jalonnant la route de Saint-Jacques-de-Compostelle, dominaient alors le nord-ouest de la Péninsule. Le premier grand monument portugais, la cathédrale de Braga (fondée par saint Gérald, évêque français, au commencement du xiie siècle), reprend le schéma compostellien, l'adaptant aux fonctions d'une église métropolitaine. La cathédrale de Porto (fondée par l'évêque Hughes, Français lui aussi), celles de Coimbra et de Lisbonne obéissent à la même typologie générale ; mais il faut remarquer que les monuments de Braga et de Coimbra sont à l'origine de deux courants régionaux que les matériaux mêmes du pays aident à caractériser : le granit dur et grossier propre à une architecture rurale au décor fruste, le calcaire servant une inspiration plus urbaine à laquelle il offrait une plasticité raffinée. C'est dans la première zone, terre romane par excellence, que l'on trouve les meilleurs exemples d'un art rude qui a imprimé à une syntaxe et à un vocabulaire importés des valeurs sémantiques originales, où pointent des qualités populaires ; on arrivera à y voir un style national qui, passant par le rare exemple de la Domus municipalis de Bragance, déterminera certaines structures du réveil nationaliste de la fin du xixe siècle.

      Dernier grand monument de l'époque, la cathédrale d' Évora (1195), dans le sud du pays où les chantiers se sont ouverts plus tard, marque déjà la transition vers le gothique, tout comme le monastère d' Alcobaça (1172 ; église, 1252 ; cloître 1308), inspiré de Clairvaux, qui couronne la grande activité architecturale des Cisterciens au Portugal. Si, dans ce pays, « l'époque romane est l'époque des cathédrales, la période gothique est celle des grandes abbayes » (M. T. Chicò). Les ordres mendiants, les Franciscains surtout, ont beaucoup construit dans le centre et le sud du pays, où le style roman n'avait pas pris racine. De Saint-François de Santarém (xiiie s.) à Saint-François d'Évora (xve s.), l'évolution du gothique portugais, dépendant à la fois de l'art du nord de l'Europe et de celui de la Méditerranée, peut être ponctuée par des monuments où un goût national a du mal à se réaliser ; avec l'église des Augustins de Sainte-Marie-de-la-Grâce, à Santarém (fondée en 1380), on voit dans le souple traitement de l'espace intérieur se définir, bien que modestement, une conception particulière du gothique. Sept ans plus tard, le roi Jean Ier fait bâtir le plus célèbre monument portugais de l'époque, le couvent dominicain de Sainte-Marie-de-la-Victoire à Batalha, en commémoration de la victoire sur les Castillans qui, cette année même, avait sauvé l'indépendance du pays. Batalha, l'un des plus importants ensembles gothiques de l'Occident, projeté par Afonso Domingues (1387-1402) et continué par le Français Huguet ou Ouguet (1402-1438), influença tout un cycle de constructions, dont celle du carmel de Lisbonne (1393-1423), lié aussi au grand élan national de l'indépendance assurée, dans un royaume dont les structures sociales changeaient. Et c'est également dans les chantiers de Batalha que paraissent vers le commencement du xvie siècle quelques-unes des premières expressions symboliques du style «  manuélin ».

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      C'est bien sûr dans le cadre des monuments romans et gothiques que la peinture médiévale s'est développée, mais il ne reste presque rien des fresques qui couvraient ces églises. Les vestiges qui ont subsisté ( Braga, Bravães, xive s.) nous mettent en présence d'une peinture rude et fruste, naïvement inspirée d'exemples toscans et espagnols du Sud. Un progrès, certainement dû à des artistes italiens, se décèle pourtant au xve siècle (Saint-François, à Porto ; tribunal de Monsaraz), et cela attire l'attention vers une circulation d'artistes qui s'amorce à partir du règne de Jean Ier, le fondateur de Batalha (Antonio Florentin au Portugal ; Álvaro Pires d'Évora en Toscane). Servie également par des peintres italiens dont on ignore les œuvres, la nouvelle cour vit arriver en 1428 Jan Van Eyck, venu faire le portrait d'une jeune princesse portugaise. Un mariage princier et le développement des échanges commerciaux lieront désormais le Portugal et la Flandre et produiront, sur le plan artistique, un style « luso-flamand » qui connaîtra son apogée au cours du premier tiers du xvie siècle.

      Dans le domaine de l' enluminure, le goût national suit à peu près la même voie ; si l'Apocalypse de Lorvão (1189) et le Livre des oiseaux (œuvres bénédictines) définissent une situation graphique originale dans le cadre roman, la Chronique générale d'Espagne (1344) trahit l'influence méditerranéenne, ainsi qu'un siècle plus tard la célèbre Bible des Hiéronymites, commandée à l'atelier des Attavanti. L'influence germanique se fait jour à travers le Livre du Armeiro-Mor (1509) du Français Jean Du Cros et l'influence flamande (due surtout à Antonio de Holanda) alterne avec celle des Italiens, au long d'un xvie siècle archaïsant.

      L'influence flamande est lisible dans le chef-d'œuvre de la peinture portugaise : le Polyptyque de Saint-Vincent, ensemble de tableaux du troisième quart du xve siècle attribué à Nuno Gonçalves, peintre du roi Alphonse V ; malgré les multiples hypothèses avancées depuis 1910 sur l'identité des quelque soixante personnages représentés, on ignore encore aujourd'hui la date exacte et la signification sociale de cette œuvre. Il s'agit pourtant de « la plus grandiose peinture d'histoire contemporaine que les primitifs nous aient laissée » (Ch. Sterling), exprimant « un réalisme aussi haut que celui de Van Eyck et de Van der Goes » (Élie Lambert). Vénération à saint Vincent, patron du royaume, de la part d'un roi engagé dans les campagnes d'Afrique, ou à l'infant martyr, dom Fernando, mort en captivité à Fez à la suite d'un échec de l'armée portugaise devant Tanger, consécration de la nation au Saint-Esprit, passage des pouvoirs du récent dom Pédro au jeune roi Alphonse V, autant d'hypothèses d'interprétation d'un ensemble pictural qui représente un panorama de la société portugaise, avec sa cour, ses princes, ses guerriers et ses évêques, les magistrats, la bourgeoisie, le peuple, les ordres monastiques, la minorité juive. Engagés sans nul doute dans une cérémonie nationale au contenu symbolique, ces groupes sociaux sont figurés dans le cadre de la réalité d'une nation saisie à un moment crucial de son évolution et essayant de se donner une organisation « moderne ». Le polyptyque (qui n'est sûrement qu'une partie d'un grand autel) assume ainsi la valeur d'un document unique soit sur le plan iconographique, soit sur le plan proprement artistique, car sa qualité picturale et la profondeur psychologique de ses portraits font atteindre l'essentiel de la société concernée. Le caractère flamand de son schéma figuratif est évident : son espace irréel, de « boîte fermée » ou de « tableau vivant », sa palette même dénoncent des influences sinon un apprentissage auprès des maîtres des anciens Pays-Bas, aux côtés desquels il faut placer historiquement Nuno Gonçalves. On ignore pourtant tout de la biographie de celui-ci, bien qu'on ait proposé l'hypothèse d'un long séjour à Bruges. Figure isolée dans la vie artistique portugaise, entre la génération du chroniqueur Fernão Lopes et celle du dramaturge Gil Vicente, participant comme eux à deux goûts et à deux mentalités, ceux du Moyen Âge et de la Renaissance, l'auteur du célèbre polyptyque n'a pas fait école dans un pays lancé pourtant sur la voie des découvertes et de l'expansion – ce qui n'est pas sans poser le problème d'une culture manquant d'imagination visuelle.

      Renaissance et baroque

      La peinture de thèmes religieux continua par la suite à subir l'influence flamande, et nombreux furent les achats de panneaux faits en Flandres où le comptoir portugais, transféré de Bruges à Anvers en 1499, connaissait le développement le plus grand grâce à l'afflux des marchandises venant de l'Orient. Frère Carlos et Francisco Henriques sont deux peintres flamands venus s'installer au Portugal, où le second épousa la sœur du peintre Jorge Afonso, chef de l'atelier le plus important de Lisbonne, mais dont l'œuvre ne peut encore être identifiée avec certitude. La structure familiale de l'atelier d'Afonso permet d'ailleurs d'établir des rapports directs entre les peintres de la première génération du xvie siècle : Gregorio Lopes (gendre du maître), Garcia Fernandes et Cristóvão de Figueiredo (mariés à deux de ses nièces) et Cristóvão Lopes, fils de Gregório, représentant déjà une autre génération. Il faut ajouter à ceux-ci le nom de Vasco Fernandes, « Grão Vasco », actif à Viseu et qui fut longtemps tenu pour le « père de la peinture primitive » portugaise. S'inspirant directement de gravures flamandes, tous ces peintres (et de nombreux « maîtres » locaux qu'on ne distingue pas toujours avec précision) produisent une peinture archaïsante ; ils sont encore touchés par une mentalité gothique qui a du mal à comprendre les valeurs humanistes de la Renaissance et subissent passivement les règlements des corporations qui imposent des canons stricts que le code iconographique de la Contre-Réforme n'a pas reniés. Seul Francisco de Holanda, peintre et architecte, en relation avec Michel-Ange, défend vers le milieu du siècle un art italianisant, dont il reste le théoricien sans écho. Le maniérisme qu'il prônait, déjà connu indirectement à travers les peintres du domaine septentrional, fut alors pratiqué par des artistes médiocres (Diogo Teixeira, Simão Rodrigues) dans le cadre de la peinture religieuse. Seul le portrait de dom Sébastien (de Cristóvão de Morais), prince maniériste par excellence, manifeste alors une authenticité intérieure – tout comme la poésie lyrique de Camões, mort en pleine crise politique, lorsqu'en 1580 Philippe II d'Espagne s'empara du pouvoir. António Moro et Sánchez Coello au cours de séjours en Portugal y introduisirent un nouveau goût du portrait, que la domination espagnole accentua, dans une voie naturaliste et baroque ; Domingos Vieira en a laissé de remarquables exemples.

      Tour de Belém à Lisbonne (Portugal) - crédits : Insight Guides

      Tour de Belém à Lisbonne (Portugal)

      Si la peinture portugaise du commencement du xvie siècle a assumé difficilement le nouvel esprit de la Renaissance, de même l'architecture a réagi d'une façon particulière. En effet, le style manuélin (du nom du roi Emmanuel le Bienheureux, souverain d'un pays qui venait de découvrir la route maritime des Indes et le Brésil) traduit, au-delà de ses formes symboliques ou emblématiques, la résistance que le gothique opposait à la Renaissance. Proposé par l'architecte français Boitac dès 1494 (église du monastère de Jésus à Sétúbal ; cloître des Hiéronymites à Lisbonne, 1502), ce style imaginatif défini surtout par le décor, sans innovation de structures, fut ensuite développé par le Biscaïen J. de Castillo, auteur des magnifiques portails des Hiéronymites et du couvent du Christ, à Tomar, et par les frères Francisco et Diogo Arruda, bâtisseurs respectivement de la célèbre tour de Belém (1515-1520), devenue l'emblème de Lisbonne, et de l'église du couvent de Tomar (siège de l'ordre intéressé dans l'entreprise héroïque et commerciale des découvertes), dont la fameuse fenêtre symbolise ce programme stylistique dans lequel on déchiffre l'iconographie de la grande aventure océanique. Mateus Fernandes, de son côté, fut chargé par le roi Emmanuel en 1504 de terminer, au couvent de Batalha, œuvre du fondateur de sa dynastie, la chapelle mortuaire (restée inachevée ; d'où son nom de capela imperfeita), où son tombeau sera érigé auprès de celui d'Henri le Navigateur. Ainsi le grand monument national ferme logiquement, sur une admirable œuvre manuéline, le cycle commencé dans le cadre du gothique final. Deux sculpteurs français, Nicolas Chantereine (venu du cercle du cardinal d'Amboise) et Jean de Rouen, ont fourni à la période manuéline la sculpture qu'il lui fallait pour ne pas oublier ses rapports formels avec la Renaissance franco-italienne (tombeaux, portail des Hiéronymites).

      Azulejos baroques de la Quinta do Lumiar - crédits : Bildarchiv Monheim/ AKG-images

      Azulejos baroques de la Quinta do Lumiar

      Si Andrea Sansovino est venu travailler au Portugal, il a dû se plier aux goûts nationaux en des travaux dont il ne reste pas de trace ; le romanisant Francisco de Holanda n'était certainement pas écouté, et les vestiges de la première Renaissance sont fort rares dans le pays, malgré l'usage qu'on ne manquait pas de faire des traités de Serlio. Ce fut le maniérisme qui triompha au Portugal, vers le milieu du siècle. Il s'était manifesté dans l'abside de l'église des Hiéronymites dès 1545. Si le couvent de Tomar eut un magnifique cloître dessiné par l'Espagnol Torralva en 1557, Lisbonne eut bientôt (plans approuvés en 1590) sa plus belle église, Saint-Vincent-hors-les-Murs, et son palais royal – œuvres d'un architecte italien au service de Philippe II d'Espagne devenu roi du Portugal, Filippo Terzi, que Herrera dirigeait de Madrid. L'impressionnante façade de l'église jésuite des Grilos, à Porto (Baltasar Álvares, 1614-1622), ou l'église inachevée, de Sainte-Engracia, à Lisbonne (João Antunes, commencée en 1682) accusent le passage de l'influence maniériste à celle d'un goût baroque imposant auquel le roi Jean V réserva le meilleur accueil. Monté sur le trône en 1706, le jeune roi mit bientôt le produit des mines d'or brésiliennes qu'on venait de découvrir au service d'une certaine idée de la royauté empruntée au Roi-Soleil. S'il a dû abandonner le programme fastueux d'un palais royal ébauché par Juvara, il n'a pas cessé d'agrandir depuis 1717 un majestueux palais-couvent bâti à Mafra par un Allemand italianisé, J. F.  Ludovice – œuvre « plus grande que le pays lui-même », qui traduit à la fois l'ambition du jeune monarque et les limites de son goût. L'embellissement du palais royal et surtout de sa chapelle promue église patriarcale de Lisbonne fut la principale préoccupation de Jean V qui parachèvera son action de mécène en faisant venir de Rome en 1747 une précieuse chapelle entièrement composée par Vanvitelli (Saint-Roch, Lisbonne). Client assidu de Mariette et de Thomas Germain, le roi, surnommé « très fidèle » par le pape, donnait l'exemple d'une vie de cour ouverte à de nouveaux besoins culturels définis à Paris. Cependant, autour de lui, la noblesse, la bourgeoisie, les très nombreux couvents ne bâtissaient ni ne collectionnaient. Les grands hôtels particuliers étaient à moitié vides, et l' azulejo et la talha (« peinture et sculpture du pauvre ») remplaçaient la peinture et la sculpture inexistantes. Ces carreaux de faïence tapissant les murs jusqu'à mi-hauteur, sur lesquels on copiait des gravures hollandaises dans des cadres baroques, et cette sculpture en bois qui habillait d'or l'intérieur des églises les plus modestes constituent pourtant les créations les plus considérables de l'art portugais de la première moitié du xviiie siècle, selon une tradition que le goût baroque du siècle précédent avait déjà enrichie. Un peintre français mort très jeune, Quillard, un peintre portugais formé à Rome, Vieira Lusitano, un sculpteur italien Giusti, quelques graveurs français sont les artistes sur lesquels on pouvait alors compter ; ils satisfaisaient somme toute aux besoins factices d'une cour qui, la plupart du temps, se contentait de peintres capables de décorer ses carrosses (aujourd'hui conservés à Lisbonne).

      De l'esthétique des Lumières à l'art contemporain

      Le 1er novembre 1755, Lisbonne, ville d'un quart de million d'habitants, fut détruite par un tremblement de terre d'une ampleur jamais enregistrée et dévorée par un incendie monstrueux. Dix mille morts, des pertes incalculables, la terreur, la misère, mais aussi une réaction étonnante qui conduisit à la reconstruction, voire à la « re-création » de la capitale disparue. Jean V était mort depuis cinq ans, et son fils Joseph Ier (qui venait de s'offrir un luxueux Opéra proche du palais royal) a pu alors compter sur un ministre décidé, le marquis de Pombal, qui, dans le cadre du « despotisme éclairé » adapté aux besoins du Portugal, osa faire bâtir une ville nouvelle, établie comme une scène pour y faire jouer ses réformes de structure. Un plan strictement géométrique traduit, dans le domaine de l' urbanisme, la pensée esthétique et sociale des Lumières : le programme des travaux ainsi que la méthode employée et les procédés de construction s'accordent dans une entreprise considérable qui n'a pas son pareil en Occident et qui constitue, avec le Polyptyque de Nuno Gonçalves, une des créations majeures du génie portugais dans le domaine plastique.

      Œuvre de trois ingénieurs militaires travaillant en équipe (Manuel da Maia, Carlos Mardel et Eugénio dos Santos), la régularité du réseau urbain est servie par la monotonie fonctionnelle des façades. Seules les églises brisent la règle utilitaire, coupant de leur dessin discrètement baroque une continuité stylistique baptisée « pombaline » qui tend vers le néo-classique et qui s'ennoblit dans la magnifique place du Commerce, ex-place Royale, au bord du Tage. On retrouve un écho de ce programme à Porto où une situation moins radicale est compensée par une conscience stylistique plus érudite, grâce à l'influence de la colonie britannique qui suscitera la formation d'une « architecture du Port-Wine » d'allure néo-palladienne.

      Château de Queluz, Portugal - crédits :  Bridgeman Images

      Château de Queluz, Portugal

      Goût urbain spécifique, lié à une bourgeoisie sur laquelle le gouvernement pombalin s'appuie, le courant néo-classique (qui s'imposera en 1792 au nouvel Opéra de Costa e Silva, et en 1802 au nouveau palais royal de Costa e Silva et de F. X. Fabri, resté inachevé) est balancé par un courant baroque tardif, responsable du château de Queluz « sans-souci » princier (Mateus Vicente, commencé en 1748), qui connaît son dernier éclat à Lisbonne, à la basilique d'Estrela (1776-1789, Mateus Vicente et Reynaldo Manuel), et qui s'épanouit dans le nord du pays grâce surtout à l'activité de l'architecte toscan Niccoló Nasoni dans les manoirs d'une vieille noblesse agraire.

      Salle du Trône, palais de Queluz - crédits :  Bridgeman Images

      Salle du Trône, palais de Queluz

      Chambre royale, palais de Queluz - crédits :  Bridgeman Images

      Chambre royale, palais de Queluz

      La reconstruction de Lisbonne a été servie par des peintres de talent moyen. Pedro Alexandrino, trop sollicité, est assez médiocre, et seule la fin du siècle a vu agir deux artistes formés à Rome, Sequeira et Vieira Portuense, partagés entre un goût baroque académique et un goût préromantique qui a mené Sequeira, exilé libéral, à exposer au Salon de Paris de 1824 une composition « moderne » (disparue) dont le sujet, la mort de Camões, traduisait à la fois une nouvelle idéologie sentimentale et un nouveau goût esthétique que le peintre vieilli ne sut d'ailleurs pas exprimer. Les sculpteurs contemporains Joaquim Machado de Castro, auteur de la statue équestre de la place du Commerce, et J. Aguiar, disciple de Canova, appartenant à deux générations successives, marquent logiquement une position baroque et une position néo-classique.

      Château de Pena, Cintra - crédits : 1tomm/ Shutterstock

      Château de Pena, Cintra

      Le régime libéral, implanté après une guerre civile terminée en 1834, s'identifia avec le romantisme en littérature et en art. La découverte de la nature (Anunciação, Cristino), des mœurs populaires (Leonel), de la peinture d'histoire (Metrass) et du portrait d'une nouvelle aristocratie bourgeoise née avec le capitalisme à l'époque des crinolines (Meneses) détermine l'imagerie de cette période qui a vu ériger des monuments à Camões et à dom Pedro, le roi libéral, et plusieurs hôtels particuliers, les meilleurs étant dus à un décorateur de l'Opéra, l'Italien Cinatti. En même temps, les façades de Lisbonne et de Porto se couvraient d'azulejos qui animaient de leurs reflets l'espace urbain, décor dont l'originalité doit être soulignée. Un théâtre national néo-classique, projeté par l'Italien Filippo Lodi en 1842, définit la perspective des Lumières du romantisme portugais ; mais, déjà, le prince consort Ferdinand de Cobourg bâtissait dès 1839 sur la montagne de Sintra, paradis byronien, un château délirant, qui est un des monuments les plus réussis de son espèce. Résultat de l'adaptation des ruines d'un couvent manuélin, le château de Pena prouve également l'attention que le romantisme portugais portait au style revival qu'il a d'ailleurs baptisé.

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      Une nouvelle génération de peintres naturalistes s'est définie vers 1880, après un séjour à Paris, où, ignorant l'expérience impressionniste, elle avait adopté les schémas de l'école de Barbizon (Silva Porto). Cela n'en constitua pas moins une révolution dans la peinture portugaise, et J. Malhoa rendit fort populaire auprès d'une bourgeoisie en proie à la nostalgie de valeurs rurales ses scènes de mœurs et ses anecdotes sentimentales. À l'autre extrémité de l'expression réaliste, Columbano proposa à une couche sociale plus raffinée les portraits douloureux d'intellectuels « vaincus de la vie », à un moment de crise nationale vers la fin du xixe siècle – images fantasmagoriques issues d'une analyse lucide et mélancolique, menée sans pitié. Mais c'est le frère de Columbano, Rafael Bordalo Pinheiro, qui fournit à la société portugaise tout entière son image la plus significative, à la fois romantique et réaliste : le « Zé Povinho » (« Zé Va-nu-pieds »), figure créée en 1875 et présente encore plus d'un siècle plus tard. Souffre-douleur de l'oligarchie bourgeoise, personnage naïf et malin, il sait rire des puissants, leur porter de terribles accusations et faire peser sur leur tête la menace d'une révolte sans cesse ajournée. Aux images de ces intellectuels tragiques, de ce peuple veule il faut ajouter le symbole de la saudade, cette statue d'un exilé pleurant sur le patrie distante, réalisée par Soares dos Reis à Rome en 1870 – la plus célèbre pièce de sculpture d'un pays qui cherche bientôt dans son passé roman une raison d'être nationale, dans le cadre d'un nouveau goût revivaliste.

      Mais on s'est aussi demandé au commencement du xxe siècle si l'existence de la patrie ne devait pas être plutôt vérifiée dans des rapports directs avec la réalité moderne. Les futuristes furent les premiers, en 1915-1917, à réclamer tumultueusement « la patrie portugaise du xxe siècle », par le chœur des voix d'un poète au génie universel, Pessoa, d'un peintre, Amadeo, qui, à Paris, brûla les étapes de la création esthétique contemporaine (cubiste et abstrait en 1913, puriste en 1914, futuriste et dada en 1916) et d'un artiste complexe, Almada-Negreiros, poète futuriste, auteur du plus important ensemble de peintures de la première moitié du xxe siècle : les fresques des gares maritimes de Lisbonne, 1945-1949. Champion de l'idée de modernité dans l'art portugais, Almada-Negreiros est engagé dans une vertigineuse aventure poétique et « numérologique » qui l'amena à une définition mythique de la culture nationale et à la composition d'un poème graphique mural, Commencer (1969, fondation Gulbenkian, Lisbonne). Cette première génération du modernisme portugais ne fut vraiment suivie que plus tard, par la génération de l'après-guerre. Il s'agissait alors de réagir contre un art académique à peine modernisé pour des besoins à la fois cosmopolites et folkloriques, qui convenait à la politique de l'État nouveau (couronnée en 1940 par l'Exposition du monde portugais), et d'adopter d'abord les messages idéologiques d'un courant réaliste-socialiste critiquant la réalité politique du pays et ensuite les propositions surréalistes, autrement révolutionnaires. Le courant surréaliste (qu'Antonio Pedro et A. Dacosta avaient annoncé dès 1935-1940) l'emporta (Vespeira, Azevedo, Lemos) et déboucha dans une esthétique abstraite largement suivie. De nouvelles orientations de la peinture occidentale ont trouvé des échos au Portugal à partir des années cinquante – de la « nouvelle figuration » et du « pop art » (J. Rodrigo dès 1961) à l'« op art » et au « minimal art », toujours dans le domaine de la peinture, car la sculpture, à l'exception de J. Cutileiro, auteur des statues du roi Sébastien (Lagos, 1973) et de Camoens (Cascais, 1983), n'intéresse que peu d'artistes de talent. Il faut encore remarquer que plusieurs artistes, suivant l'exemple illustre de Vieira da Silva, partie en 1929, s'engagent dans un large mouvement migratoire et font carrière à Paris, à Londres, en Allemagne et au Brésil – situation que le changement de régime politique en 1974 a modifiée dans une certaine mesure.

      — José-Augusto FRANÇA

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      Écrit par

      • : agrégé de lettres, docteur ès lettres, professeur de langue et littérature portugaises et brésiliennes à l'Université catholique de Louvain (Belgique)
      • : docteure en histoire, maître de conférences au laboratoire d'études romanes de l'université de Paris-VIII
      • : agrégé de géographie, docteur d'État, directeur de recherche émérite au C.N.R.S.
      • : professeur à l'université nouvelle de Lisbonne
      • : professeur de portugais à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
      • : professeur à la faculté des lettres de l'université de Lourenço Marques
      • : professeur à l'université nouvelle de Lisbonne
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      Polyptyque de saint Vincent, détail, N. Gonçalves - crédits : DeAgostini/ Getty Images

      Polyptyque de saint Vincent, détail, N. Gonçalves

      Autres références

      • PORTUGAL, chronologie contemporaine

        • Écrit par Universalis
      • AFRIQUE (Histoire) - Les décolonisations

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        • 12 429 mots
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        Le paradoxe portugais réside sans doute dans le fait que, à l'heure où les autres « repliaient le drapeau », le Portugal le déployait. La colonisation portugaise en Afrique, plutôt déficiente avant la Seconde Guerre mondiale, se fit beaucoup plus présente après. L'émigration vers les colonies...
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        Fondée au milieu du xiie siècle par le roi Alphonse Ier, dans la région nouvellement conquise de l'Estrémadure, l'abbaye royale de Sainte-Marie d'Alcobaça (au nord de Lisbonne) devint la plus importante maison de l'ordre de Cîteaux au Portugal. Les travaux du monastère...

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