POSITIVISME, notion de
Une pensée de la totalité
Pour Auguste Comte, c'est théoriquement et pratiquement que l'homme prend possession du monde (déjà déterminé par la relation vitale qu'il construit avec lui). D'où la priorité (notamment par rapport aux mathématiques, reconduites à leur fonction de science modélisant le passage du concret à l'absolu) accordée à l'astronomie : outre qu'elle est une appréhension théorique du réel, celle-ci revendique en effet une fonction de synthèse au regard des différents savoirs. On doit entendre un tel projet comme un croisement permanent entre deux organisations internes, structurées et spécifiques : celles de l'entendement humain et celles de la dynamique qui meut l'histoire des sociétés (l'analyse objective et la synthèse subjective). La matière du monde et la forme de l'homme, l'interaction entre le statique et le dynamique, tels sont les deux paradigmes fonctionnels de la pensée positiviste. Avec cette méthode historique et sociale, elle tend à déboucher sur un « tout » ne résumant point les parties, les discontinuités et les ruptures, mais les récapitulant, tout en s'efforçant de dégager des structures et des réseaux d'homologies, ce qui n'étonnera pas au regard du caractère encyclopédique, puis catéchétique, du projet. C'est sur cette base, et en passant par le moment moral, que Comte entend penser une anthropologie totale dont le symbole serait le noyau irriguant. En définissant la réalité humaine comme un ensemble de relations et de règles historiques, où interagissent l'homme et les phénomènes du monde, le positivisme cherche à poser un ordre entre anarchie et hiérarchie, deux extrêmes des possibles dérives du « Grand Être ». D'où la devise « Ordre et Progrès », cherchant à instaurer des fondements internes selon les fins inchoatives de la société, but avoué de l'état positif, qui viendrait succéder aux états précédents, théologique et métaphysique. Enfin, on n'oubliera pas l'esprit politique (l'organisation des sciences s'articule à la recherche d'une rationalité de l'ordre social, en vue de son progrès) et religieux de l'entreprise (la philosophie positive se construit face au catholicisme).
Lucien Lévy-Bruhl, dans le plan d'une conférence (1935), a déjà posé la question de « ce qui est vivant, ce qui est mort dans la philosophie d'Auguste Comte ». Le positivisme reste une forme de naturalisme qui pose les phénomènes humains au cœur des régulations naturelles et des explications des sciences. La dissolution du corps de la doctrine conduit souvent à la réduire à une attitude de défiance pour la métaphysique et la théologie, au profit de la méthode scientifique. On retiendra cependant que le positivisme a voulu lutter contre un réductionnisme déterministe à portée universelle dans la compréhension du fait, en le situant dans sa dynamique totale, historique et sociale. La question portant sur la légitimité et les effets de l'hégémonie des sciences, dans le domaine social et politique, reste d'actualité, surtout si l'on n'oublie pas que Comte, fondamentalement, formule une réflexion épistémologique, qui est aussi politique, sur les conditions de possibilité et les modalités d'une connaissance de l'Humanité par elle-même. Ses interrogations sur une possible limite de la raison, sur une sociologie de la science et sur le fait religieux nous donnent aujourd'hui encore à penser.
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Écrit par
- Jean LECLERCQ : directeur du centre Blondel, professeur, chargé de cours
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