POSITIVISME
Le positivisme scientifique et les problèmes qu'il pose
Deux éléments irréductibles se sont imposés à l'analyse d'Auguste Comte, le signe et l'histoire. Comte a d'abord été sensible à l'histoire des états du savoir, des mentalités, et à leur logique propre : la logique des sentiments avec le fétichisme, la logique des images avec le polythéisme et la logique des signes avec le monothéisme. Il a ainsi contribué à définir la notion de science positive tout en l'élargissant ; car cette notion historique a sa genèse dans le non-scientifique des mentalités qui sont permises par d'autres sociétés que la société occidentale et qui ont leur propre rationalité ajustée à la nature de leur société. Ainsi, le fétichisme spontané est porteur de positivité. Comte a considéré que la science digne de ce nom a toujours un référent social et historique ; aussi la socialité est-elle pour lui une condition supplémentaire de positivité à laquelle n'atteignent pas les spiritualistes, qui la nient, ni les matérialistes, qui la réduisent au biologique. Auguste Comte remonte à un commencement fondamental de l'humanité, qui est la première « révolution », donc un état métaphysique de rupture dans le fétichisme. Ce fut la révolution astrolâtrique, instauratrice du « fétiche commun » – le dieu-fétiche mobilisant une communauté par l'organisation d'un culte et d'un sacerdoce intermédiaire entre la communauté et la divinité, et réalisant ainsi la première unité sociale et mentale d'une histoire faite de continuité et de sauts brusques ou de ruptures. Le « fétiche commun » est une première apparition du « signe », élément commun au langage et à l'art. Aussi Comte réunit-il en une même théorie les théories du signe, de l'art et du langage. Cette genèse reconstitue, dans ses racines anthropologiques préscientifiques, l'histoire de l'esprit scientifique selon ses deux composantes, l'analyse et la synthèse. L'esprit théologique le plus ancien et apparemment le plus hétérogène à la méthode scientifique – le fétichisme ou l'animisme – participe des mêmes données analytiques et synthétiques. La notion de fétiche est donc le point de départ de cette sémiogenèse reconstituée : surtout, le « fétiche commun », collectif, met en jeu une société et son savoir, la société ayant partie liée avec le langage, qui est son institution fondamentale. De même que, pour Kant, il existe un fonds commun permanent hors duquel la raison jamais ne peut s'évader – les sciences seraient-elles abolies –, de même, pour Comte, il existe un fonds commun dans le fétichisme spontané auquel son positivisme final fait, d'ailleurs, retour, mais comme à un fétichisme systématisé : principe même de la condition de tout signe quel qu'il soit, le fétichisme est la topique de ce que nous appelons aujourd'hui la fonction symbolique.
Pour Comte, la philosophie doit passer par le système entier des sciences. En suivant chaque science positive, elle se donne pour tâche d'apprécier l'entier accomplissement du préambule cartésien et de déterminer « la constitution finale de la saine philosophie, en harmonie nécessaire avec une haute destination sociale » (Cours de philosophie positive, 58e leçon). Aussi explicite-t-il son discours de la méthode : en lieu et place de l'a priori de la raison, ce que Comte instaure, c'est la prépondérance du discours sociologique sur les instances scientifiques ; alors s'accomplit la méthode positive totale, la méthode objective des sciences de la nature trouvant son complément dans la méthode subjective des sciences sociales, desquelles dépendent, finalement, les sciences de la nature. À chaque état de la société, en effet, correspond un savoir du monde. Son ambition étant d'atteindre[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Angèle KREMER-MARIETTI : docteur d'État ès lettres et sciences humaines, maître de conférences de philosophie à l'université d'Amiens
Classification
Médias
Autres références
-
POSITIVISME, notion de
- Écrit par Jean LECLERCQ
- 1 384 mots
Le mot positivisme (1830) – dont le Vocabulaire de Lalande donne une histoire détaillée – fut rapidement complété par le terme positiviste (1835) dont les connotations sont variables (l'utilisation négative a pris son essor dans les milieux catholiques au moment de l'opposition à Littré). Mais tous...
-
ANNEXES - DE L'ŒUVRE D'ART (J.-C. Lebensztejn) - Fiche de lecture
- Écrit par Gilles A. TIBERGHIEN
- 972 mots
Les éditionsLa Part de l'Œil, ont eu l'heureuse idée de publier, en 1999, dans la collection « Théorie », un recueil de textes de Jean-Claude Lebensztejn. Ces Annexes caractérisent bien la manière de Lebensztejn, car même ses grands livres – L'Art de la tache (éditions...
-
CAUSALITÉ
- Écrit par Raymond BOUDON , Marie GAUTIER et Bertrand SAINT-SERNIN
- 12 987 mots
- 3 médias
...cause se trouve liée à celle de nature intime des phénomènes ou de substance. Or nous ne disposons que des informations fournies par l'expérience. Dès lors, et c'est la conviction du fondateur du positivisme, Auguste Comte : « nos études réelles sont strictement circonscrites à l'analyse des... -
COLONISATION, notion de
- Écrit par Myriam COTTIAS
- 1 618 mots
...françaises ou l'Académie des sciences coloniales sont fondées. Cependant, aucun questionnement sur le phénomène en lui-même n'est posé. Ces différents ouvrages sont inscrits dans une tradition positiviste : ils sont descriptifs, souvent hagiographiques et révèlent l'existence de deux courants... -
COMTE AUGUSTE (1798-1857)
- Écrit par Bernard GUILLEMAIN
- 9 502 mots
- 1 média
En ouvrant la conclusion totale du Système de politique positive, Auguste Comte distingue dans sa vie intellectuelle deux carrières. Dans la première, qui correspond à peu près à l'élaboration du Cours de philosophie positive, il s'est efforcé de transformer la science en philosophie. Dans...
- Afficher les 30 références