- 1. Naissance d'une littérature
- 2. Comment interpréter le terme « postcolonial » ?
- 3. Le début des littératures postcoloniales
- 4. Une culture du syncrétisme
- 5. Au carrefour du postcolonial et du postmodernisme
- 6. Les spécificités des littératures postcoloniales
- 7. Dépasser le postcolonial ?
- 8. Bibliographie
POSTCOLONIALES ANGLOPHONES (LITTÉRATURES)
Les spécificités des littératures postcoloniales
Une implication forte
Nombre d'écrivains postcoloniaux refusent l'idée de l'art pour l'art, à l’instar du Nigérian Ken Saro-Wiwa (1941-1995) qui affirme que l’écrivain doit être un homme engagé. Dans ses romans et nouvelles, il met en scène des personnages marginalisés et opprimés, victimes du pouvoir politique et économique. Après avoir dénoncé les abus commis par des compagnies pétrolières sur les terres du peuple ogoni, il sera arrêté par le régime militaire et exécuté en 1995. Qu'il s'agisse de l’écrivain australien Mudrooroo (1938-2019), du Ghanéen Ayi Kwei Armah (né en 1939) ou du Barbadien George Lamming, tous partagent l'idée que la littérature a non seulement un certain rapport avec la « réalité », mais que les auteurs doivent aussi faire connaître et apprécier les cultures minoritaires. Les revendications féministes sont d'autant mieux représentées dans le domaine postcolonial (avec des romancières comme Jean Rhys, Buchi Emecheta, Bessie Head, Margaret Atwood, Erna Brodber, Jamaica Kincaid, Keri Hulme...) que les femmes y ont souvent subi une double aliénation, en raison de leur sexe et de leur statut de colonisées.
Un fort contenu allégorique marque les œuvres publiées à l'époque des indépendances. Comme le Samoan Albert Wendt (né en 1939) dans ses romans faulknériens Leaves of the Banyan Tree (1979 ; Les Feuilles du banian, 2009) et The Mango'sKiss (2003 ; Le Baiser de la mangue, 2006), la plupart des grands écrivains dépassent les simplifications du didactisme grâce à des stratégies narratives ou des points de vue multiples, qui font miroiter les diverses facettes de la réalité interculturelle. D'autres, comme le Trinidadien Samuel Selvon (1923-1994), l'auteur de Moses Ascending (1975 ; L'Ascension de Moïse, 1987), pratiquent un humour discret mais incisif pour évoquer les contradictions de la situation postcoloniale.
En Afrique du Sud, J. M. Coetzee (né en 1940) publie en 1974 un ouvrage au statut générique instable, Dusklands (Terres de crépuscule, 1987),qui met en regard l’engagement des États-Unis au Vietnam et l’expansionnisme hollandais au xviiie siècle en Afrique du Sud pour souligner la violence du mécanisme impérialiste. En 1980, Coetzee choisit le mode allégorique dans Waiting for the Barbarians (En attendant les barbares, 1982) qui se déroule dans un temps et un lieu indéfinis et se lit comme une critique virulente de l’apartheid mais aussi du colonialisme à l’origine de la soumission ou de l’anéantissement de populations indigènes.
Le choix de la langue
Dans les années 1960 et 1970 un débat divise les écrivains africains concernant l'utilisation de la langue anglaise, accusée de véhiculer une culture impérialiste. Certains, à l'est du continent, prônent alors l'usage du swahili, langue véhiculaire dans leur région. Ngugi wa Thiong'o va pousser à l'extrême la logique du refus en renonçant pour un temps à l'anglais dans lequel il a écrit ses chefs-d'œuvre tels Weep not Child (1964 ; Enfant ne pleure pas, 1983) et The River Between (1965 ; La Rivière de vie, 1988). Adoptant le kikouyou afin de s'adresser au petit peuple qu'il considère comme exclu de la littérature jusqu'alors publiée, il écrit plusieurs pièces et romans qu'il fait ensuite traduire en anglais.
La plupart des auteurs postcoloniaux (hormis certains romanciers indiens, qui ont, de fait, un vaste public potentiel dans les différentes langues nationales) suivent cependant l'exemple d'Achebe : ce dernier revendique le droit d'exprimer une réalité africaine en adaptant l'anglais qui peut, selon lui, « porter le fardeau d'une autre expérience ». Sous la pression éditoriale, certains auteurs acceptent d'ajouter un glossaire de termes vernaculaires à la fin de[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre DURIX : professeur émérite, université de Bourgogne, Dijon
- Vanessa GUIGNERY : habilitée à diriger des recherches en études anglophones, professeure des Universités à l'École normale supérieure de Lyon
Classification
Médias