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POSTCOLONIALES ANGLOPHONES (LITTÉRATURES)

Dépasser le postcolonial ?

Des trajectoires nationales spécifiques

Alors que plusieurs décennies se sont écoulées depuis les indépendances des anciennes colonies, il s’avère de plus en plus délicat de placer sous la même désignation de « littératures postcoloniales » des écritures très diverses qui sont le fruit de trajectoires politiques, économiques et culturelles hétérogènes dans différents pays du globe. En outre, le terme postcolonial est désormais appliqué à des champs inédits. Ainsi, depuis les années 1980, des chercheurs se sont inspirés des études postcoloniales pour proposer de nouvelles interprétations de l’histoire coloniale de l’Irlande et pour la comparer à celle d’autres régions du monde, justifiant ainsi d’apposer l’adjectif postcolonial à sa littérature. Certains arguent toutefois que la position ambiguë de l’Irlande vis-à-vis de l’impérialisme, entre assujettissement et collusion, invite à faire preuve de prudence, ajoutant qu’il faut veiller à ne pas homogénéiser les discours culturels irlandais en les soumettant à une typologie postcoloniale.

Les anciens pays colonisés ont choisi des voies parfois très variées pour leur reconstruction et les écrivains qui en sont originaires s’attachent à mettre en regard les drames du passé colonial et les désillusions d’un présent qui en porte encore les stigmates. En Afrique du Sud, à partir des années 1990, le réalisme militant qui a tant marqué les écrivains de la période de l'apartheid semble céder la place à une vision plus complexe d'une histoire en demi-teintes, ainsi qu'on le voit à travers les romans de Zakes Mda (né en 1948), comme The Madonna of Excelsior (2002 ; La Madone d'Excelsior, 2004) qui revient sur l’exploitation sexuelle des femmes noires par des protestants blancs sous l’apartheid, mais dresse également un constat amer de la nouvelle Afrique du Sud rongée par la corruption. Les travaux de la commission Vérité et Réconciliation (1996-1998), chargée de recenser les violations des droits de l’homme commises depuis 1960 en Afrique du Sud, donnent lieu à des ouvrages souvent hybrides, tels que Country of mySkull (1998 ; La Douleur des mots, 2004) d’Antjie Krog (née en 1952) qui mêle reportage journalistique, essai, récit autobiographique et poésie, ou RedDust (2000 ; Poussière rouge, 2001) de Gillian Slovo (née en 1952). Les dramaturges bousculent également les codes esthétiques, tel Mpumelelo Paul Grootboom (né en 1975) dont l’écriture théâtrale explosive s’inspire du cinéma de genre pour les formes multiples que revêt la violence en Afrique du Sud, par exemple dans la pièce Relativity: Township Stories (2006), co-écrite avec Presley Chweneyagae (né en 1984). Si la société sud-africaine et la littérature de la transition vers la démocratie s’emparent des figures ancestrales de la Vénus hottentote et de Krotoa-Eva (qui a tenu le rôle d’interprète entre les Néerlandais et les Khoï) pour en faire des mythes fondateurs de la nouvelle Afrique du Sud, nombre de romanciers et de dramaturges mettent en évidence les limites de la métaphore de la « nation arc-en-ciel » dont a rêvé l'archevêque anglican Desmond Tutu.

Au Nigeria, la guerre civile de 1967-1970, ou guerre du Biafra, qui éclata sept années après l’indépendance du pays, a laissé son empreinte douloureuse dans le pays et dans la littérature. Si les premiers ouvrages sur le conflit paraissent dans les années 1970 et adoptent un mode plutôt réaliste, proposant parfois le point de vue des femmes, par exemple dans Never Again (1976) de Flora Nwapa, Sunset at Dawn (1976) de Vincent Chukwuemeka Ike (1931-2020) ou Destination Biafra (1982) de Buchi Emecheta (1944-2017), plusieurs romans contemporains proposent des voies formelles plus audacieuses, comme Song for Night (2007 ; Comptine pour l’enfant-soldat, 2011) de Chris Abani[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite, université de Bourgogne, Dijon
  • : habilitée à diriger des recherches en études anglophones, professeure des Universités à l'École normale supérieure de Lyon

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Médias

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