POSTCOLONIALES FRANCOPHONES (LITTÉRATURES)
Les littératures postcoloniales ont été identifiées comme telles dans les années 1980 par des théoriciens des littératures anglophones. L’épithète « postcoloniale » concernait d’abord les littératures des pays sous domination de l’ancien empire britannique, bien que certains critiques aient remarqué de nombreux points communs avec les productions littéraires issues d’autres empires européens : francophones, mais aussi hispanophones, lusophones et néerlandophones. Dès les années 1990, les littératures de langue française sont étudiées selon la perspective postcoloniale tout en prenant en compte la spécificité d’œuvres nées dans le contexte de l’ex-empire français, dont l’histoire est différente de celle des anciennes colonies britanniques. L’ensemble littéraire francophone postcolonial se nourrit de thèmes et d’approches – quête de l’identité, redécouverte de l’histoire autochtone, déconstruction des modèles hérités du colonialisme ou issus du néo-impérialisme – qu’on retrouve dans la plupart des pays et régions qui composent la francophonie.
Le postcolonialisme n’est pas une grille de lecture binaire opposant mécaniquement le monde colonial au monde postcolonial, il distingue une colonie de peuplement comme le Québec des histoires coloniales des pays ou régions d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes, de l’océan Indien et du Pacifique, tout comme il refuse de réduire la pluralité de styles, de thèmes et d’orientations incluse dans la notion de postcolonial. Seul un examen détaillé de chaque littérature nationale pourrait rendre justice à la variété des œuvres concernées. Pourtant, un survol diachronique permet de mettre en évidence de multiples caractéristiques communes.
Étant donné l’ampleur des questions abordées, le terme « postcolonial » apparaît comme un principe fédérateur plus qu’un concept précis. Il détermine une perspective d’étude sur les littératures de pays marqués par l’histoire coloniale, qu’il s’agisse de littératures en langues européennes ou de littératures en langues vernaculaires issues de régions extérieures à l’Europe.
De la littérature coloniale aux littératures francophones
La notion de « littérature coloniale » s'était établie dans la littérature française du début du xxe siècle : le Mercure de France lui consacrait une chronique régulière. Théorisée notamment par les Réunionnais Marius-Ary Leblond, elle accompagnait l'entreprise coloniale en tentant d’en dévoiler les aspects les moins connus : peinture vraie des mœurs, plongée dans l'âme « indigène », exaltation de l'œuvre civilisatrice parfois nuancée de quelques critiques. Pour les tenants de la littérature coloniale, l'éclosion de talents littéraires autochtones devait témoigner de la réussite de la colonisation. Dans les pays de la péninsule indochinoise, Cambodge, Laos, Vietnam, la littérature s’inspirait fréquemment des grands modèles français, mais manifestait aussi une création originale, comme le montrent les essais de Pham Quynh ou la poésie de Pierre Do-Dinh au Vietnam, et les poèmes et romans de la Cambodgienne Makhali-Phâl.
En 1921, le prix Goncourt est décerné à un administrateur de la colonie de l'Oubangui-Chari, le Guyanais René Maran, pour Batouala, véritable roman nègre. Le sous-titre suggère que Maran se situe dans la littérature coloniale, mais il y introduit une distance critique. La préface et quelques scènes sans complaisance ont suscité à l'époque polémique et réprobation de la part des milieux coloniaux. Vingt ans plus tard, René Maran sera présenté par Léopold Sédar Senghor comme le précurseur du mouvement de la négritude.
La rupture entre la littérature coloniale et ce qu'il est convenu d'appeler « littératures francophones » s'est opérée lentement. Les premiers essais littéraires du Malgache [...]
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Écrit par
- Jean-Marc MOURA : professeur de littératures francophones et de littérature comparée, université Paris-Nanterre, membre de l'Institut universitaire de France
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Médias