POSTCOLONIALES FRANCOPHONES (LITTÉRATURES)
Les littératures postcoloniales au xxie siècle
Dès 2000, la critique anglophone observait que le postcolonialisme connaissait sa crise du milieu de la vie (midlife crisis). La théorisation avait donné naissance à des porte-parole notoires, notamment, outre les Australiens Ashcroft, Griffiths et Tiffin, Edward Said, Palestinien installé à New York, Gayatri Spivak et Homi K. Bhabha tous deux originaires du sous-continent indien et travaillant aux États-Unis. Ils se voient alors reprocher par une partie de la critique de projeter des concepts occidentaux sur une réalité socioculturelle dont ils sont coupés. En France, des historiens s’interrogent sur le flou épistémologique et le manque d’analyses concrètes des études postcoloniales (Jean-François Bayart). Pourtant, ces travaux ont continué de se développer, comme en témoigne la création de sociétés savantes et de départements universitaires dans de nombreux pays, au Nord comme au Sud. Elles ont ainsi accompagné une production littéraire tant anglophone que francophone, pour ne citer que ces deux exemples, qui n’a cessé de croître et d’affirmer son importance internationale.
Une large partie des littératures dites francophones sont postcoloniales, et constituent désormais un espace littéraire transnational qui joue un rôle majeur dans la définition d’un canon littéraire mondial. Les références et les inspirations en sont remarquablement variées. Ahmadou Hampâté Bâ puisait au fonds traditionnel peul et bambara. Désormais, l’Algérien Kamel Daoud réécrit Albert Camus (Meursault, contre-enquête, 2013), la Franco-Vietnamienne Anna Moï déambule dans l’imaginaire indochinois de Marguerite Duras (Le Pays sans nom. Déambulations avec Marguerite Duras, 2017). La question identitaire, cruciale pour les auteurs francophones venant après les indépendances, se pose à présent dans un cadre planétaire où le centre français a perdu de son importance. Édouard Glissant se référait à William Faulkner, l’Algérien Boualem Sansal s’inspire de George Orwell (2084 : la fin du monde, 2015), la Camerounaise Leonora Miano évoque une personnalité « afropéenne » qui unit deux continents et qui s’affranchit des appartenances nationales étroites (Afropean Soul, 2008).
La dimension postcoloniale pourrait sembler moins présente dans la mesure où la notion de résistance à l’hégémonie qui oriente le postcolonialisme se complique singulièrement avec la mondialisation. Toutefois, dans un monde caractérisé par des migrations d’une ampleur inédite, par l’étonnante expansion des communications et par la puissance sans précédent des États-Unis comme, désormais, de la Chine, les littératures postcoloniales ne peuvent que se développer pour témoigner des échanges déséquilibrés entre le Nord et le Sud (Louis-Philippe Dalembert, Mur Méditerranée, 2019) et affiner ainsi leurs outils critiques. Les références internationales, voire mondiales, n’excluent nullement le retour sur la colonisation (Tierno Monénembo, Le Roi de Kahel, 2008), un travail sur la mémoire (Scholastique Mukasonga, Notre-Dame du Nil, 2012) ou la présentation des déstructurations sociales produites par les rémanences coloniales, voire par de nouvelles formes d’impérialisme (In Koli Jean Bofane, Mathématiques congolaises, 2008 ; Nathacha Appanah, Tropique de la violence, 2016).
Dans le contexte de relations internationales en transformation rapide, bouleversant les sociétés du Sud comme celles du Nord, les littératures postcoloniales francophones sont un témoignage sur l’univers de l’échange généralisé qu’on appelle mondialisation. Elles informent leurs lecteurs de ces négociations interculturelles, sans nombre et si souvent marquées par une sourde violence, qui caractérisent le monde contemporain.
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Écrit par
- Jean-Marc MOURA : professeur de littératures francophones et de littérature comparée, université Paris-Nanterre, membre de l'Institut universitaire de France
Classification
Médias