POTLATCH
Le mot « potlatch » est emprunté au chinook (devenu jargon de traite au xixe siècle sur la côte nord-ouest d'Amérique du Nord) ; il signifiait « action de donner ». Le terme est utilisé par les ethnologues américains pour désigner diverses cérémonies ostentatoires et dispendieuses donnant lieu à des festivités, à des déclarations publiques, ainsi qu'à des distributions et à des destructions de biens, observées surtout au cours de la seconde moitié du xixe siècle parmi les populations de pêcheurs-chasseurs-collecteurs des côtes du Pacifique depuis l'État de Washington jusqu'à l'Alaska. Ces cérémonies ont suscité diverses interprétations dont certaines ont influencé durablement l'anthropologie sociale, telle la théorie de la réciprocité ou celle des valeurs culturelles, mais les bases factuelles ont été depuis remises en cause et réinterprétées dans une perspective fonctionnaliste.
La cérémonie
Les populations pratiquant le potlatch (Kwakiutl, Tlinglit, Salish, Haida, Tsimshian, Nootkans, Chuckebee...) sont constituées en unités familiales et résidentielles (numaym), regroupées en villages pendant l'hiver, mais dispersées dès le printemps sur leurs territoires de pêche, de collecte et de chasse respectifs. Chaque numaym est détenteur de prérogatives et d'insignes, transmis héréditairement en ligne patrilinéaire et matrilinéaire, qui confèrent un statut et une place précise dans la hiérarchie sociale, tant à l'intérieur du groupe que vis-à-vis des autres groupes.
Selon H. G. Barnett (1938), le potlatch est « un rassemblement d'individus cérémonieusement et souvent personnellement invités pour être témoins de la démonstration de prérogatives familiales ». Des potlatch sont généralement donnés dans les circonstances suivantes (d'après S. Piddocke, 1965) : funérailles accompagnées de l'installation de l'héritier ; mise en place de son successeur par un ancien en exercice ; changement cérémoniel de nom ; accession d'un individu à un nouveau statut (puberté, menstruation par exemple) ; mariage et différents moments du cycle matrimonial ; initiation à une société secrète ; achèvement d'une habitation ; lors du transfert onéreux d'un écu de cuivre (cf. infra) ; lorsqu'un individu veut s'honorer lui-même ; lorsqu'un individu veut humilier un rival ; lors des cérémonies d'hiver ; pour sceller la paix entre rivaux ; et, ajoutons, lors de la réintégration sociale d'un individu dans ses prérogatives (après avoir été libéré de sa condition de captif de guerre par exemple). Toutefois, certaines populations réservent cette cérémonie à des occasions plus précises, tels les Tlinglit qui ne la célèbrent qu'en l'honneur des membres décédés du clan (Swanton, 1908). À ces potlatch sont en général formellement invités les alliés matrimoniaux et les chefs des numaym voisins.
Au cours des festivités, le numaym hôte fait état de ses prérogatives, énonce ses devises, exécute les danses qui lui sont propres, récite son panégyrique et fait les déclarations publiques qui motivent la célébration. Afin de montrer sa munificence, il offre de la nourriture en abondance, distribue des cadeaux qui sont conventionnellement surtout des couvertures ou de l'huile de poisson dont on brûle les excédents. Les canots des invités sont parfois détruits et remplacés. Les transferts d'écussons de cuivre (coppers) donnent lieu à des cérémonies plus dispendieuses encore. Les coppers sont des plaques de métal ciselé, d'origine inconnue, dont la possession assure un grand prestige en raison des volumineux transferts de biens qu'implique leur acquisition. Un homme éminent peut soit solliciter l'acquisition d'un tel copper, soit être sollicité pour l'acquérir, en manière de défi. Le[...]
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Écrit par
- Claude MEILLASSOUX : maître de recherche au C.N.R.S.
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Média
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