POTLATCH
Perspectives historiques et fonctionnalistes
Plusieurs auteurs contemporains ont noté que le potlatch, tel qu'il a été observé par Boas, était déjà profondément affecté par le commerce de fourrures entrepris par ces populations avec les traitants européens installés sur la côte dès 1849. De nouveaux biens ostentatoires (horloges, machines à coudre, phonographes, bijoux, etc.) s'ajoutèrent aux biens de prestige traditionnels ; le volume des transferts s'accrut considérablement, exaspérant les rivalités entre chefs et même entre individus enrichis qui, traditionnellement, n'auraient pas été admis à y participer. En 1885, le gouvernement canadien interdit donc les potlatch qui persistèrent néanmoins jusque vers 1920. S'appuyant sur ces données historiques et sociologiques plus nombreuses et plus certaines, deux thèses opposées ont été avancées pour donner au potlatch une explication fonctionnelle.
Élaborant les idées de W. Suttles (1960), qui observa les Salish, et de P. A. Vayda (1961), Piddocke (1965) voit dans le potlatch un moyen de redistribution des ressources, correcteur des inégalités dues aux facteurs naturels. Trois propositions étayent cette thèse : la disette constitue une menace constante en raison de la productivité différentielle des milieux écologiques locaux, disette qui ne pouvait être surmontée que par une redistribution de nourriture par les groupes les plus avantagés ; la nourriture pouvait donc être échangée relativement librement contre des richesses et celles-ci contre le prestige ; le désir de prestige, en encourageant le potlatch, perpétue ce système d'échange et contribue à la survie de la population.
Cette thèse s'oppose à celle que Barnett soutenait dès 1938. Barnett est le premier à avoir fait ressortir la fonction de publicité du potlatch comme moyen de sanctionner publiquement les principaux événements statutaires, s'accompagnant donc de libéralités proportionnées au rang des parties en cause. Or les biens du potlatch consistent surtout en trésors de valeur conventionnelle, sans relation avec les besoins physiologiques, distribués en quantités hors de proportion avec leur utilité et manipulés au seul niveau du prestige. La nourriture est offerte, par contre, et aussi, en remerciement de travaux exécutés par les invités (constructions, sculptures, érection de poteau totémique, etc.). Drucker et Heizer (1967), se plaçant dans la perspective de Barnett, réfutent la thèse de Piddocke en constatant que le potlatch se donne traditionnellement entre voisins dont les territoires subissent les mêmes variations écologiques, alors qu'entre groupes éloignés, susceptibles d'être soumis à des conditions de rendement différent, la guerre empêchait tout échange économique. En outre, antérieurement à la traite, l'accumulation des biens nécessaires à la préparation d'un potlatch était une entreprise longue et difficile qui en réduisait sensiblement la fréquence et donc les capacités régulatrices.
Drucker et Heizer constatent par contre que, dans le potlatch original, les groupes mis en relation sont des alliés matrimoniaux potentiels ou réels et ils rappellent l'importance des rapports de réciprocité entre affins. Drucker et Heizer suggèrent donc que les potlatch, qui semblent avoir été primitivement surtout des cérémonies funéraires ou d'intronisation, sont l'occasion de transferts de biens matrimoniaux qui sanctionnent l'appartenance de l'héritier à ses lignages.
Cette thèse restituerait le potlatch dans le cadre général et cohérent des prestations matrimoniales, et ce dans une perspective plus conforme aux théories les plus élaborées de l'anthropologie économique.
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Écrit par
- Claude MEILLASSOUX : maître de recherche au C.N.R.S.
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