POUR UN OUI OU POUR UN NON (mise en scène J. Lassalle)
Signe d'une volonté de remettre le texte, l'intime et l'infime au centre de la représentation théâtrale, aux antipodes du spectaculaire, la pièce de Nathalie Sarraute, Pour un oui ou pour un non, a fait l'objet de deux mises en scène différentes à l'automne 1998. Simone Benmussa reprenait à la Comédie des Champs-Élysées, avec ses interprètes d'origine (Jean-François Balmer et Sami Frey), un spectacle qu'elle avait créé avec grand succès treize ans plus tôt au théâtre du Rond-Point. Dans le même temps s'achevait dans la petite salle du théâtre de la Colline la version de Jacques Lassalle.
Au commencement de la mise en scène de Lassalle, la musique d'un trio de jazz emplit l'espace : un bureau meublé d'une simple table et d'une chaise, avec un vestibule côté jardin, une porte à l'opposé, donnant, on le devine, sur une chambre, et une fenêtre en fond de scène, d'où l'on aperçoit la façade d'un immeuble, baignée d'une lumière diurne. Rudy Sabounghi a saisi cette pièce d'appartement dans une perspective singulière, de profil, comme figée par un point de vue subjectif. C'est un lieu propice au silence, au travail intellectuel, et les notes que l'on entend, celles de la valse en si mineur de Bill Evans (B Minor Waltz), ressemblent à de la musique d'intérieur.
Ici, toute l'action est contenue dans l'échange langagier. Le dialogue, support linguistique de la relation interhumaine dans le drame, atteint chez Sarraute sa valeur absolue. Ne renvoyant qu'à son propre développement, il ne contribue pas à déterminer les personnages comme des entités psychologiques, mais plutôt à les dresser en instances de parole antagonistes. Le dépouillement raffiné du dispositif scénique de Lassalle va contribuer à amplifier la radicalité du drame élaboré par Nathalie Sarraute. Sous la subtilité des répliques, le jeu virtuose des doubles sens ou la profondeur des lapsus, émerge alors un conflit d'une violence extrême. « C'est un combat sans merci. Une lutte à mort », en vient à dire l'un des protagonistes à l'approche du dénouement.
Une remarque passée et anodine de H.1 commentant un succès quelconque dont se vantait son ami H.2 est à l'origine de la discorde : « C'est bien... ça... ». Mais ce ne sont pas les mots eux-mêmes que dénonce H.2 : « Il y avait entre „C'est bien“ et „ça“ un intervalle plus grand : „C'est biiiien... ça...“ Un accent mis sur „bien“... un étirement : „biiien...“ et un suspens avant que „ça“ arrive... »
Ici l'art du comédien rend compte de la nature profonde de l'acte de communication : privée de sens intrinsèque, la phrase ne prend sa signification que si elle est doublement interprétée, c'est-à-dire prononcée d'abord à l'aide d'effets dans une certaine intention, puis déchiffrée en retour par son destinataire. Or jamais Jean-Damien Barbin (H.1) ne reproduit, lorsqu'il reprend ses termes, l'intonation initiale de Hugues Quester (H.2).
Rapidement l'échange revêt la structure conflictuelle du procès, mais d'un procès à la configuration instable et ambivalente : l'accusateur (H.2) ne cesse de faire état de sa position d'accusé aux yeux du monde, « poursuivi », puis « condamné par contumace », en vertu de sa propension à rompre « pour un oui ou pour un non ». Plus tard, le combat faisant rage, H.1 sera amené en guise de riposte à extirper du passé commun des motifs de dispute tout aussi « insignifiants ».
L'art discret de Lassalle se prête parfaitement à l'esthétique dramatique de Nathalie Sarraute. Tout ici n'est que rythme, ruptures, accès brusques et subitement éteints, moments de paroxysme (H.2 s'emparant d'une chaise pour en frapper H.1) ne coïncidant jamais avec le[...]
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Écrit par
- David LESCOT : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre
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