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CHARISMATIQUE POUVOIR

L'un des trois types de domination — avec le pouvoir traditionnel et le pouvoir rationnel — de la classification établie à ce sujet par Max Weber. Le terme « charismatique », qui vient du grec charisma (« grâce », « bienfait », « don »), s'applique à quelqu'un qui a reçu des dieux, des démons ou de la nature un don que les autres n'ont pas reçu ; puis il en vient à connoter l'idée de don au sens de capacité et d'aptitude exceptionnelles. Un artiste, dans l'acception du xixe siècle, avait du « génie » : c'était un charismatique inspiré par une « Muse ». Celui qui a un don de ce genre exerce sur les autres un ascendant, une attraction, un pouvoir informel. Il est investi d'une sorte d'autorité qui ne repose ni sur des réussites, ni sur des démonstrations. Sa parole convainc par une sorte d'évidence et non parce qu'elle est plus rationnelle ou parce qu'elle est éloquente. Ses ordres ne sont pas discutés. Il est regardé par ceux qui l'entourent comme celui qui sait quelles décisions il faut prendre. On ne peut évaluer si le chef charismatique a effectivement des dons exceptionnels : l'important est que son entourage le croie. Il est habituellement mis en rapport avec la catégorie du « sacré », car il exerce sur les hommes une véritable fascination (le sacré fascinant).

On ne peut rendre compte d'une façon rationnelle de l'existence du pouvoir charismatique. Il remonte à une époque très ancienne (cf. E. Francisni, Arcana imperii). Moïse et Romulus en sont les exemples classiques. Cette conception est recouverte, au temps de la chrétienté, par l'idée selon laquelle le roi est désigné par Dieu et, en tant que roi, investi de pouvoirs exceptionnels (en France, le pouvoir de guérir les écrouelles après le sacre ; cf. Marc Bloch, Les Rois thaumaturges, 1920). Mais la conception du chef charismatique reprend son autonomie avec Nietzsche et la théorie du surhomme. À l'époque contemporaine, on se met à parler de « l'homme providentiel », qui apparaît au milieu des crises et en lequel on reconnaît le chef envoyé par la « Providence » et capable de faire face aux dangers ou aux défaites. Il est, « par nature », le chef. Ainsi sera considéré Hitler ; la plupart des dictateurs exercent, d'ailleurs, leur pouvoir en fonction de cette reconnaissance d'un charisme par la majorité du peuple. Le pouvoir repose alors sur la personnalité du chef, mais davantage encore sur l'adhésion que le peuple donne, sans qu'il lui soit nécessaire de la formuler explicitement, à cette personnalité. Dans une telle adhésion, il y a plus que la « confiance qui vient d'en bas » que demandait Napoléon : c'est un phénomène de croyance à caractère religieux et d'identification à caractère mystique. Le chef charismatique, d'ailleurs, ne se trouve pas en opposition avec la collectivité (nationale) ni ne lui est imposé, ni même n'est séparé d'elle : il est, au contraire, censé l'exprimer parfaitement à un moment historique donné. Tout son pouvoir réside dans cette relation.

— Jacques ELLUL

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Bordeaux-I, membre de l'Académie de Bordeaux

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