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POUVOIR (notions de base)

Le savoir, arme du pouvoir ?

Alors que les sociétés archaïques, qualifiées de « froides » par Claude Lévi-Strauss (1908-2009) – dans la mesure où elles n’évoluaient que très lentement et à un rythme imperceptible aux hommes –, ne connaissaient guère l’organisation très hiérarchisée des sociétés historiques, ce sont les sociétés « chaudes », nées avec l’écriture, qui ont vu l'émergence d’un pouvoir au sens fort du terme, condition nécessaire à la naissance d’un État. Pour que les dominants puissent transmettre leurs ordres aux dominés, l’usage de l’écriture est absolument nécessaire, ce qui conduit Claude Lévi-Strauss à supposer que « la fonction primaire de la communication écrite est de faciliter l’asservissement » (Tristes Tropiques, 1955). Rassembler tout ce que l’on peut savoir des individus composant la société, puis transmettre à tous les étages du commandement les objectifs fixés par les dominants, exige la médiation de l’écriture.

Il faut ajouter que, dans les sociétés antiques, l’écriture n’était pratiquée que par une minorité. Contrairement à une thèse largement partagée, on peut alors se demander si l’alphabétisation généralisée qu’a mise en place la Modernité avait pour seule finalité l’élévation intellectuelle du plus grand nombre, ainsi que l’ont revendiqué les philosophes des Lumières, ou si ce processus n’a pas été plutôt la conséquence d’une sophistication des anciennes techniques de domination. Telle est l’hypothèse iconoclaste défendue par Claude Lévi-Strauss, toujours dans Tristes Tropiques : « La lutte contre l’analphabétisme se confond ainsi avec le renforcement du contrôle des citoyens par le Pouvoir. Car il faut que tous sachent lire pour que ce dernier puisse dire : nul n’est censé ignorer la loi. »

Un autre facteur lié au savoir facilite le processus de domination. Il tient au fait que les connaissances dont disposent les puissants leur permettent de se livrer à une véritable entreprise de camouflage. Il n’est pas impossible que les sciences humaines aient offert aux puissants un vocabulaire et des concepts qui, détournés de leur contexte, ont facilité la construction d’un discours rendant opaques les strates de la domination. On peut dénommer « idéologie » ce discours trompeur en préférant cette approche à celle de Karl Marx (1818-1883) qui réduit excessivement le rôle de la classe dominante dans l’élaboration de l’idéologie. Telles sont les hypothèses qui ont permis à André Glucksmann (1937-2015), en dénonçant le marxisme et les systèmes totalitaires qui se sont réclamés de lui, de démonter la « science des puissants ». Une pseudoscience qui « s’acharne depuis toujours à effacer, dans l’expérience du dominé, toute possibilité de distinguer clairement dominant et dominé » (La Cuisinière et le mangeur d’hommes, 1976).

On peut cependant sérieusement nuancer ces hypothèses, en accordant à Baruch Spinoza (1632-1677) que le savoir, à condition bien entendu qu’il s’agisse d’un savoir authentique et non d’un savoir construit par l’idéologie, donne aux individus les moyens de s’émanciper des pouvoirs qui les dominent. Pour Spinoza, la connaissance est une puissance. C’est même l’unique puissance parce qu’elle prend appui sur les lois de la nature et qu’elle inscrit notre action dans le flux de la causalité naturelle. Ainsi Spinoza nous invite-t-il à identifier le mécanisme de nos passions afin de nous en libérer. Parmi les émotions qui nous paralysent figure la peur que les despotes savent si bien mettre à leur service pour nous maintenir dans l’assujettissement. Après avoir dénoncé, aux troisième et quatrième livres de son Éthique, la « servitude » issue de l’ignorance et de la mauvaise interprétation des événements que les hommes subissent, Spinoza leur permet,[...]

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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