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PRAGMATIQUE

La pragmatique, ou comment accommoder les restes : cette formule rejoint l'intuition de Bar-Hillel, l'un de ses fondateurs, qui lança de son côté l'expression de « poubelle pragmatique » pour désigner le dépotoir théorique où l'on pourrait déverser tous les problèmes insolubles en syntaxe ou en sémantique. La pragmatique contemporaine regroupe un ensemble de recherches logico-linguistiques aux frontières floues. Mais un consensus général se dessine pour la définir comme l'étude de l'usage du langage, qui traite de l'adaptation des expressions symboliques aux contextes référentiel, situationnel, actionnel et interpersonnel. C'est une discipline dont le domaine foisonnant est en train de conquérir son statut d'autonomie et en vient même à adopter une conception maximaliste voire fondatrice à l'égard de la sémantique. On comprend, dans ces conditions, que la pragmatique soit l'enjeu de réinterprétations philosophiques qui ne se confondent pas nécessairement avec le pragmatisme des fondateurs.

L'attitude pragmatique correspond au déplacement de l'intérêt vers un aspect négligé : après les points de vue historique et structural qui ont marqué les sciences du langage depuis le xixe siècle, on se met à étudier les systèmes de signes comme des phénomènes de communication. Sont « pragmatiques » les traits qui donnent à un fragment linguistique une fonction dans un acte ou un jeu de communication.

Genèse et développement

Les termes de « pragmatisme » et de « pragmatique » n'ont pas la même portée. Le premier désigne une position philosophique d'ensemble : c'est une théorie de la rationalité en tant que liée aux intérêts humains fondamentaux. Quelque chose de l'usage kantien du terme pragmatisch survit chez C. S. Peirce : « en relation avec quelque intention, projet humain défini ». Mais l'attitude pragmatique concerne la production du sens dans les systèmes de signes. Elle ne regarde la rationalité que pour autant que celle-ci dépend du discours en contexte. Elle déborde donc ses racines pragmatistes. C'est ainsi que la pragmatique de Montague n'est pas influencée par le pragmatisme de Peirce.

Outre que Peirce a fait de la vie des signes et de leur échange le milieu même de la vie de l'esprit, il est l'auteur d'une distinction importante pour l'analyse du langage : entre une expression considérée comme type et l'occurrence de cette expression. Bar-Hillel et Strawson l'introduiront dans l'analyse à peu près à la même date. La pragmatique s'intéressera spécifiquement à tout ce qui est fonction de l'occurrence, partant, de l'usage d'un signe.

L'idée que l'usage a une efficace sémantique propre, qui sera par la suite explorée par Wittgenstein sur le plan conceptuel, se trouve mise en œuvre d'abord par les philosophes logiciens. Plusieurs concepts entrent progressivement dans la théorie du langage, qui en étaient absents jusque-là, délibérément négligés pour isoler les aspects que l'on souhaitait théoriser.

Morris (1938) voyait dans la pragmatique la science universelle de l'usage. Son intuition allait être directement corroborée par l'École polonaise qui introduisit la construction des métalangages. Ce devrait être, après la syntaxe et la sémantique, la troisième forme d'étude métalogique. Elle étudie les relations entre les systèmes formels et leurs utilisateurs. De quelque langage qu'il s'agisse (formel aussi bien), toute expression possède telle propriété syntaxique (est bien ou malformée) ou sémantique (est vraie ou fausse) uniquement pour les utilisateurs virtuels ou actuels de ce langage. Certes, on peut en faire abstraction, mais on ne saurait faire abstraction que de ce qui est : il y a une relation entre sémantique et pragmatique[...]

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