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PRAGMATIQUE

Le grand bond

Avec le souci des interlocuteurs, on pouvait s'attendre à voir entrer en jeu la notion d'interaction verbale. Longtemps la question ne fut même pas posée. Et puis elle s'avança enfin à pattes de colombe, transformant notre idée du contexte. Un certain silence travaille, en effet, le discours pragmatique, dont on détermine peu à peu les contours. Que le contexte langagier soit essentiellement interlocutif n'est pas encore admis de tous, qu'il s'agisse de ses implications sur l'analyse linguistique ou de ses présuppositions philosophiques. La notion d'intention communicative dirigée vers une audience maintient le privilège du locuteur, que Ziff (1967) dénonce comme inacceptable. La solution de Grice (1957) ne peut éviter une itération d'intentions du second, du troisième, du quatrième degré, où la régression à l'infini signalée par Mackay (1972) le dispute à la pétition de principe, signalée par Jacques (1982).

Il ne faut pas perdre de vue le fait qu'un des problèmes résolus à tâtons par le langage est celui de la participation pleine et entière de l'autre dans le fonctionnement du discours. La valeur donnée à autrui autant que l'aspect par lequel il est semblable sont en cause : non plus « fais pour moi », mais plutôt « fais avec moi », « réponds », « prends garde », « promets ». La valeur « colloquiale » des signes pénètre au cœur de la pensée et devient partie intégrante du même. En honorant la dimension pragmatique, le logicien n'assure pas seulement la conformité formelle du langage au langage, ni même la correspondance formelle du langage avec le non-langage, mais encore la communicabilité de mon langage à ton langage. Une option sur le devenir de la pragmatique se dessine : sauf à se disperser dans la constitution d'une vague psychosocio-stylistique, les recherches doivent se concentrer sur la construction d'une théorie adéquate de l'usage communicationnel du langage, par exclusion de ses autres usages circonstanciels. Ceux-ci présupposent celui-là, tandis que l'inverse n'est pas vrai.

Par pragmatique au sens strict, on entendra désormais tout ce qui concerne le rapport des énoncés aux conditions les plus générales de l'interlocution, sans lesquelles une situation communicable ne pourrait se produire par discours. Cela revient à proposer de faire entrer le concept de relation interlocutive dans l'analyse.

Avant d'aboutir à la définition d'une compétence communicative, la pragmatique traite de problèmes tout à fait généraux, tels que l'articulation des conditions de succès et des conditions de vérité ; le rapport entre les modalités d'énoncé (les attitudes propositionnelles, le possible et le nécessaire) et les modalités d'énonciation (les forces illocutoires) ; les rapports entre actes linguistiques et contexte où ils sont accomplis, etc. Une telle théorie peut secondairement s'appliquer aux contextes sociaux concrets. C'est sur ce terrain qu'elle rencontre l'« analyse conversationnelle ». Celle-ci s'attache à décrire empiriquement la signification communiquée par certains comportements verbaux dans une situation singulière, qu'il s'agisse de cadres institutionnels tels que l'Université, une Cour de justice, une salle d'hôpital ou certaines situations de la vie quotidienne. Cette application de la pragmatique ne sera possible que si la théorie prévoit les distinctions indispensables : pertinence, information pragmatique, places et positions énonciatives, etc.

On peut supposer que la pragmatique ne prendra son envergure théorique qu'en cessant son oscillation paradigmatique, quand elle adoptera franchement le paradigme de la communicabilité et qu'elle le poussera jusqu'au bout de ses possibilités structurelles. Par là aussi, elle[...]

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