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PRAGMATISME

Le pragmatisme, théorie de la vérité ou théorie de la signification ?

Le pragmatisme est-il essentiellement une théorie de la vérité ? Il l'est certainement pour James. On n'a pas pris garde cependant que ce dernier est surtout préoccupé du statut des « vérités établies ». S'il y a vérification, ou plutôt « validation » comme le dit James – et le choix du mot est suggestif –, cette opération a une fonction de validation rétrospective : « La vérité vit à crédit. » « Nos pensées et nos croyances, poursuit James, « passent » comme monnaie ayant cours tant que rien ne les fait refuser, exactement comme les billets de banque tant que personne ne les refuse. Mais tout ceci sous-entend des vérifications, expressément faites quelque part, des confrontations directes avec les faits, sans quoi tout notre édifice de vérités s'écroule, comme s'écroulerait un système financier à la base duquel manquerait toute réserve métallique. Vous acceptez ma vérification pour une chose, et moi j'accepte pour une autre votre vérification. Il se fait entre nous un trafic de vérités. Mais il y a des croyances qui, vérifiées par quelqu'un, servent d'assises à toute la superstructure. » Bien que la métaphore s'expose à la critique intellectualiste, le sens en est clair : les vérités sont des croyances. Or toutes les croyances ou vérités n'ont pas à être vérifiées, même rétrospectivement, selon James. Il est des croyances ou vérités auxquelles la seule « volonté de croire » suffit, ce sont des « options obligées ». En fin de compte, la vérification ne serait nécessaire que pour les options indifférentes : là « où n'existe aucune option obligée, nous devrions prendre pour idéal l'intelligence qui juge sans passion et qui du moins nous sauve en tout cas de l'erreur ». À cette conception s'oppose Peirce : « Une conclusion vraie resterait vraie si nous n'avions aucune propension à l'accepter, et la fausse resterait fausse bien que nous ne puissions résister à la tendance d'y croire. »

Tout essai de comprendre le pragmatisme à partir des écrits de James est voué à l'échec. James s'appropria le principe du pragmatisme de Peirce pour défendre un ensemble de vérités et de croyances obtenues par une méthode qui n'était pas pragmatiste. Le pragmatisme ne s'intéresse pas à la vérité en tant que telle, ni au sens des vérités acquises, ni même au sens d'aboutissement ou de couronnement de la vérification. Une idée vérifiée, devenue vraie, marque la fin d'une recherche. Elle libère la pensée pour d'autres tâches, pour d'autres recherches. John Dewey préfère appeler l'expression de cette étape dernière d'une recherche donnée « l'assertion garantie » ou, en parlant abstraitement, en dehors d'une recherche déterminée, en tant qu'il s'agit d'un objet logique, « l'assertibilité garantie ».

La question que se pose le pragmatiste est celle du sens des mots et des choses. Ici encore l'interprétation de James est fautive. Le principe de Peirce ne tend pas premièrement, comme le pense James, « à faire disparaître les incompréhensions et à apporter la paix », bien que c'en puisse être parfois le résultat pratique. Il est le moyen que Peirce propose à Descartes, en lieu et place de l'intuition, pour distinguer les idées qui sont réellement claires de celles qui le paraissent seulement. Que veut-on dire quand on dit qu'un objet est dur ? L'intuition ne peut être le recours ultime pour décider du sens de l'idée de dureté. Seule l'action pourra nous le révéler et le justifier en même temps. Est dur l'objet qui n'est pas rayé par un grand nombre d'objets que, par contre, il raie. « Il n'y a pas de nuance de signification assez fine pour ne pouvoir produire une différence[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de philosophie à l'université de Perpignan, secrétaire général de l'Association internationale de sémiotique

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