ANANTA TOER PRAMOEDYA (1925-2006)
Romancier, essayiste et biographe, auteur d'une œuvre largement diffusée et traduite, Pramoedya Ananta Toer (dit Pram) est sans conteste la figure la plus marquante de la littérature indonésienne du xxe siècle. Né en 1925 à Blora, ville située sur la côte nord de Java, Pram prit part à la lutte pour l'indépendance de son pays et fut incarcéré pendant près de trois années par les autorités coloniales, de 1947 à 1949, période qu'il mit à profit pour écrire ses premiers textes. Dans les années 1950, il se rapproche du Lekra, l'association culturelle du Parti communiste indonésien, et soutient la politique anti-impérialiste et anticolonialiste du président Sukarno. Suite au brutal changement de régime, il est de nouveau incarcéré de 1965 à 1979. D'abord détenu à Java, il est finalement déporté sur l'île de Buru, où il est soumis à des travaux forcés. Une relative amélioration de ses conditions de détention, liée à la pression internationale, lui permet toutefois de rédiger sa fameuse tétralogie, parue entre 1980 et 1988. Mais ce n'est qu'à la chute du régime de Soeharto qu'il recouvre sa liberté d'expression et de publication. Ce destin exceptionnel tend cependant à éclipser une œuvre, qui prit la captivité à la fois pour occasion et pour thème abordé tant sur le mode de la fiction (Ceux qu'on entrave, 1951) que sur celui de l'autobiographie (Soliloques d'un muet, 1995).
Ses premiers livres sont de brefs romans ou des recueils de nouvelles qui ont pour toile de fond l'histoire contemporaine : l'occupation japonaise (Le Fugitif, 1950), la guerre de libération (Famille de guérilla, 1950) ou les désenchantements des premiers temps de l'indépendance (Corruption, 1954). Pram s'inspire encore de son expérience personnelle dans ses Histoires de Blora (1952) et dans La vie n'est pas une foire nocturne (1951), dans lesquels il évoque respectivement son enfance et le décès de son père. Il retrace ensuite l'histoire de Java dans un vaste roman (À contre-courant, 1995) et dans une pièce de théâtre (Mangir, 2000). L'engagement républicain de Pram se reflète dans son choix d'écrire en indonésien, langue « égalitaire » liée à la construction nationale et à la modernité, plutôt qu'en javanais, sa langue maternelle hiérarchisée en « niveaux » reflétant la stratification d'une société « féodale ». Adepte d'un réalisme qui le rattache à Tolstoï et à Steinbeck qu'il traduit en indonésien, Pram est l'auteur d'une œuvre résolument engagée dans le sens d'un humanisme rationaliste et de l'émancipation sociale. À une histoire officielle au service du pouvoir, il oppose son témoignage de prisonnier politique déporté sur l'île de Buru (Soliloques d'un muet) et celui de ces femmes que les armées japonaises d'occupation forcèrent à se prostituer (Jeunes femmes aux griffes des militaires, 2001). Pram consacre, par ailleurs, en 1962, une biographie à Kartini, la pionnière de l'émancipation des femmes indonésiennes. Il manifeste, en outre, un soutien constant aux Indonésiens d'origine chinoise, trop souvent victimes de discriminations et de préjugés racistes, et souligne, en éditant certains textes « sino-malais », leur contribution à l'édification de la littérature nationale. Cette sinophilie lui vaudra d'ailleurs d'être incarcéré une année, en 1961, suite à la publication d'un essai jugé trop favorable aux Chinois d'Indonésie.
Sans réduire son œuvre à la justification d'une thèse, on notera la présence d'un thème récurrent : celui de la prise de conscience, qui vise l'oppression coloniale (La Maison de verre, 1988), l'inégalité des sexes ou des conditions sociales (La Fille de la côte, 1987) et l'insuffisance[...]
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Écrit par
- Etienne NAVEAU : maître de conférences en langue et littérature indonésiennes à l'Institut national des langues et civilisations orientales
Classification
Autres références
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MALAISIE ET INDONÉSIE, langues et littératures
- Écrit par Denys LOMBARD
- 10 242 mots
...nouveau, fortes d'une expérience irremplaçable. Après Sitor Situmorang, qui recommence à composer des poèmes et rédige son autobiographie, c'est surtout Pramudya Ananta Toer (1925-2006) qui va se révéler la figure la plus marquante de la littérature indonésienne. Tant sur le mode de la fiction (Ceux...