PRÉADAPTATION
Le concept de préadaptation désigne essentiellement une coïncidence entre les modifications héréditaires fortuites de l'espèce et la disponibilité d'une niche écologique accessible aux individus qui la composent. Darwin avait déjà émis l'hypothèse que la respiration aérienne de certains poissons avait dû les préadapter à la vie terrestre. En défendant l'idée de la préadaptation, le biologiste français Lucien Cuénot (1866-1951) souligne que les êtres vivants ne se transforment pas en vue de s'adapter, mais que seuls ceux qui sont adaptés survivent. Cuénot dénonce ainsi le finalisme a priori et inaugure une « téléomorphie » – ou « téléonomie », comme le dira Monod en 1970 –, principe selon lequel l'adaptation est un résultat a posteriori, nécessaire à la vie mais imprévu dans le cours de l'évolution. Autrement dit, l'adaptation n'est pas le but vers lequel tendent les espèces biologiques. En insistant précocement sur le fait que « les adaptations indispensables à la vie dans un milieu donné doivent être chronologiquement antérieures à la vie dans ce milieu », Cuénot remet en vigueur l'idée que la structure précède la fonction. Il amène ainsi la biologie de son temps à rompre avec le néo-lamarckisme de certains de ses contemporains (Giard, Bonnier, etc.), qui postulait, à tort, que « la fonction crée l'organe », et que ce genre d'innovation était d'emblée héréditaire (hérédité de l'acquis).
Ambiguïté de la notion de préadaptation
Pourtant, ainsi définie, la notion de « préadaptation » s'éloigne à plus d'un titre des mécanismes dont la théorie synthétique de l'évolution rend mieux compte. D'une part, pour Cuénot, la préadaptation concerne surtout la conquête des niches écologiques vacantes, ce qui exclut la substitution – reconnue aujourd'hui comme étant un phénomène général – des formes génétiques variantes (allèles) sur place. D'autre part, ce concept prit rapidement une connotation finaliste, car Cuénot estimait dans une connotation métaphysique, et donc sur un plan extrascientifique – ce qu'il reconnaissait d'ailleurs – que cette adaptation par coïncidence était trop déroutante. Si on néglige, comme Cuénot, le rôle de la fécondité différentielle (la sélection directionnelle), les caractères préadaptatifs apparaissent en effet « prophétiques » et les organes semblent se développer en vue de l'utilité future pour l'espèce, ce qui est incompatible avec le caractère fortuit des mutations génétiques.
Un tel finalisme était très répandu à son époque, notamment dans les travaux paléontologiques, que Cuénot connaissait bien. La plupart des chercheurs de fossiles de l'entre-deux-guerres souscrivaient en effet au principe de l'orthogenèse, selon lequel l'évolution des lignées se ferait « en ligne droite » vers leur extinction. On croyait, par exemple, qu'un facteur évolutif inconnu provoquait, chez les cerfs, une augmentation de la taille de la ramure, jusqu'à devenir gigantesque, conduisant irrémédiablement à la disparition de l'espèce. En fait, comme George Gaylord Simpson l'expliqua au congrès de Paris en 1947, le maintien de pressions de sélection pendant un long laps de temps permet de rendre compte d'un grand nombre de cas de ce genre. L'« orthodrome » de la théorie synergique de l'évolution explique aussi l'existence d'une certaine canalisation sélective des transformations évolutives.
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Écrit par
- Cédric GRIMOULT : professeur agrégé d'histoire, docteur en lettres et sciences humaines, enseignant à l'université de Paris-X-Nanterre
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