PRÉCIOSITÉ
La préciosité, entendue au sens le plus strict, c'est-à-dire historique, originel en quelque sorte, s'est épanouie en France au cours de la période de 1650 à 1660, qui a pu, à juste titre, être appelée la « poussée précieuse ». Les précieux et les précieuses au temps de Mlle de Scudéry et de l'abbé de Pure ont été les premiers à porter ce nom et restent les seuls, au fond, qui doivent le conserver. Car, hors de là, l'épithète, louangeuse ou péjorative, ressortit à la langue de la critique et, se détachant du contexte et des réalités historiques où elle est née et où elle a pris sa pleine et authentique signification, devient une qualification esthétique ou morale aux critères mal définis.
Apparences et caricatures
On se fonde, pour dater l'apparition des précieuses, sur une lettre du chevalier Renaud de Sévigné à Christine de France, duchesse de Savoie, le 3 avril 1654 : « Il y a une nature de filles et de femmes à Paris que l'on nomme « précieuses », qui ont un jargon et des mines, avec un démanchement merveilleux : l'on en a fait une carte pour naviguer en leur pays. » Dès lors, on trouve de nombreuses allusions à la mode du jour sous la plume de nouvellistes ou de pamphlétaires, plus soucieux, il est vrai, de bizarrerie ou de polémique que d'objectivité. On fait des airs et des vaudevilles, des chansons, des comédies, des ballets pour tourner en ridicule la « secte façonnière ». Mais quel crédit accorder à de tels portraits qui accablent les victimes sous la charge et la caricature ? Il convient de rectifier ces données partiales par les renseignements que nous fournissent des textes fort divers : citons notamment les Epistres de Scarron, la Nouvelle allégorique de Furetière, les Lettres de Mme de Sévigné, les Mémoires et la Carte du pays de Braquerie de Bussy-Rabutin, les Satires et le Dialogue des héros de roman de Boileau, les Entretiens d'Ariste et d'Eugène du père Bouhours, les Œuvres de Saint-Évremond, les Mémoires de Mlle de Montpensier et son Histoire de la princesse de Paphlagonie, l'Académie des femmes de Samuel Chappuzeau, les Œuvres de Charles Cotin, celles de l'abbé Paul Tallemant, le Portrait de la coquette de Félix de Juvenel, la Carte de la Cour de Gabriel Guéret, les Mémoires sur les Grands Jours d'Auvergne de Fléchier, la Joueuse dupée de Jean de La Forge, etc. Mais les trois témoignages les plus importants restent le roman à clef, encore mal éclairci, de l'abbé de Pure, La Prétieuse, ou le Mystère des ruelles, qui a paru en quatre volumes de 1656 à 1658, les Précieuses ridicules de Molière, représentées pour la première fois à l'hôtel de Bourgogne le 18 novembre 1659, et les œuvres de Baudeau de Somaize, les Véritables Précieuses, Le Grand Dictionnaire des précieuses, Les Précieuses ridicules nouvellement mises en vers, le Procès des précieuses en vers burlesques, le Dialogue de deux précieuses sur les affaires de leur communauté, le Grand Dictionnaire des précieuses, historique, poétique, géographique, cosmographique, chronologique et armoirique. On ne saurait, toutefois, accepter tels quels les traits que Molière et Somaize prêtent aux précieuses ; il faut faire la part de l'exagération et de la parodie. Il convient, en outre, de remarquer qu'ils se sont surtout attachés l'un et l'autre aux innovations de langage, d'ailleurs ridiculisées à plaisir, mises à la mode dans les ruelles. Le roman de l'abbé de Pure donne au contraire avec mesure des renseignements nombreux et dignes de foi sur les préoccupations des cercles précieux, leurs goûts, leurs discussions, les revendications féministes qui s'y font jour. Mais les contemporains, en rassemblant leurs griefs contre les précieuses sous trois chefs d'accusation principaux : la corruption de la langue, l'affectation des manières et le refus de l'amour, n'ont vu de la[...]
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Écrit par
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