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PRÉCIOSITÉ

Le vrai visage de la préciosité

En réalité, la préciosité a revêtu des aspects beaucoup plus complexes. Elle n'est pas cet esprit superficiel et léger qu'on lui attribue d'ordinaire. Frivole parfois, attirée par des riens galants tels qu'on en trouve dans les Poésies de Voiture, les Recueils manuscrits de Valentin Conrart, ceux de Charles de Sercy, elle ne se cristallise pas seulement dans quelques jeux gratuits des ruelles, comme les innombrables sonnets consacrés au perroquet de Mme du Plessis-Bellière. Elle ne se limite pas à quelques excentricités de langage, prêtées par Molière à Cathos et Magdelon et soigneusement recueillies par Somaize. Elle dépasse le pur verbalisme d'une poésie uniquement formelle, faite pour distraire l'âme délicate de quelques oisifs, habitués choisis d'un petit nombre de salons. Passionnément éprise de qualité idéale, elle se conçoit comme une aristocratie, mais elle ne reconnaît qu'une supériorité, celle de l'esprit. Bien loin de se constituer en un monde fermé, accueillante aux nouveautés, elle l'est aussi aux nouveaux venus ; à l'hôtel de Rambouillet, les gens de lettres les plus originaux et les plus décriés, Louis de Neufgermain, bohème et bouffon, Vauquelin des Yveteaux, libertin et dissolu, l'abbé de Croisilles, condamné à mort pour avoir épousé une certaine Marie Poque, sont admis dans la Chambre bleue avec des roturiers comme Voiture, Chapelain, Conrart, Ménage, Pellisson ; celui-ci, fraîchement arrivé de sa province, est présenté par Conrart dans les cercles parisiens et reçu aux samedis de Mlle de Scudéry.

Les origines de la préciosité posent une question très controversée. On a parfois vu en elle la manifestation d'un phénomène plus vaste, européen, qui s'incarne dans l'euphuisme en Angleterre, dans le marinisme au-delà des Alpes et dans le gongorisme en Espagne. En fait, Lily, Sidney et Donne sont à la fois trop éloignés par leurs dates et par leur esprit pour avoir eu un ascendant, même minime, sur la génération précieuse de 1650 ; ils n'avaient rien à lui apporter qu'elle n'ait pu trouver, selon les cas, chez Honoré d'Urfé, Antoine de Nervèze, Philippe Desportes ou Laugier de Porchères, c'est-à-dire chez des auteurs d'une autre époque, déjà vieillis et, sauf le premier, tombés depuis longtemps dans le ridicule. Les influences italiennes et espagnoles ont pu être, en revanche, beaucoup plus sensibles, pour deux raisons essentielles : les écrivains français du temps connaissent les littératures de ces pays et y puisent souvent sujets et inspiration ; la belle société apprend l'italien et l'espagnol, suffisamment pour pouvoir lire les œuvres dans le texte. La mode s'en mêle et, sans tomber dans les excès du xvie siècle, incite de plus en plus les beaux esprits des ruelles à ne pas négliger ce moyen de paraître et de se faire valoir. Mais le côté social de la préciosité, l'épanouissement de la vie mondaine, le rôle des salons demeurent français. Ils ne sont pas la conséquence de l'italianisme et de l'hispanisme ; ils sont, au contraire, la condition de leur succès. De même, les revendications féministes, telles qu'elles apparaissent notamment dans le roman de l'abbé de Pure, dans les œuvres de Mlle de Scudéry, chez Molière et chez nombre d'autres auteurs moins importants, n'ont rien à voir avec les apports des nations voisines. Le style des écrivains espagnols ne correspond plus, en outre, sur bien des points, au goût des cercles précieux ; les procédés de B. Gracián, par exemple, sont beaucoup plus proches de ceux de Nervèze, des Escuteaux, de François Desrues dans ses Marguerites françoises, que de ceux qu'on admire dans les ruelles en 1650. On peut en dire autant des Aphorismes, ou Sentences dorées d'Antonio[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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