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PRÉCIOSITÉ

Un phénomène social et moral

La préciosité correspond en outre à toute une évolution des esprits et des mœurs et illustre un phénomène social et moral autant que littéraire et linguistique. Elle implique une profonde transformation de la société au cours de la première moitié du siècle. Elle coïncide en effet avec la suprématie définitivement assurée à Paris sur la province ; elle est parisienne d'origine et d'esprit. Elle résume en elle cinquante années d'efforts vers les belles manières, la distinction, la politesse et le raffinement. Elle suppose le développement de l'instruction, la diffusion du savoir, le goût des belles-lettres, chez les femmes en particulier. Elle couronne le règne de la galanterie, de l'esprit et de l'honnêteté. Elle méprise le bourgeois au moment même où une partie importante de la bourgeoisie, par de laborieux efforts, assure sa promotion et lui fournit de nombreux adeptes. Grâce à elle, la femme sort victorieuse d'une longue querelle sur ses droits et sa dignité. Selon l'abbé de Pure, dans la Prétieuse, on se hasarde même à mettre en question, dans certains cercles, les fondements du mariage et de la famille ; on revendique avec âpreté le droit au mariage à l'essai, au divorce et à l'espacement des maternités.

Dès lors, on comprend mieux la place de la préciosité au xviie siècle. On la situe plus exactement, par exemple, vis-à-vis du baroque. Elle n'en est pas, comme on l'a dit parfois, la pointe assagie. Ainsi, la métaphore baroque quand elle utilise le minéral et le métal, est surtout décorative et ornementale ; elle fait appel aux sens, à la vue et à l'imagination ; la métaphore précieuse, même si elle met à profit des éléments identiques, a une portée et une signification tout autres ; elle établit entre la fleur, le métal ou le joyau et le monde de l'homme un réseau de correspondances, d'analogies, qui cherche à dépeindre, à pénétrer plus intimement, à analyser l'univers moral et spirituel dont la métamorphose (genre pratiqué notamment par Voiture sous la forme de poème en prose : Métamorphose de Lucine en rose, Métamorphose de Julie en diamant), comme le portrait, tente de rendre compte. Le baroque, à la fois « monarchique, aristocratique, religieux et terrien », s'oppose à la préciosité, qui naît dans le monde mesuré des salons, vit à l'échelle humaine, n'a pas de préoccupations eschatologiques, mêle indistinctement les classes sociales, noblesse et bourgeoisie, et se révèle urbaine, profane, égalitaire et intellectuelle. E. Faguet pensait que le précieux est « à deux doigts du burlesque, parce que le burlesque n'est pas autre chose que le précieux, qui ne contient plus même un grain de sincérité, mais qui s'amuse purement et simplement de lui-même. Alors, pour peu qu'il s'y mêle de trivial, il devient burlesque ». Cependant, si on est en droit de parler d'un genre burlesque aux procédés artificiels, aux effets calculés (mots familiers, bas, techniques, étrangers, archaïques ou pittoresques, proverbes, bigarrure verbale), il n'y a pas de genre précieux proprement dit : le précieux s'éparpille partout, dans la poésie, le roman, le théâtre, les mémoires, la correspondance ; l'un est à peu près uniquement littéraire et très limité, il est autonome ; l'autre déborde les questions de langue et de style et reflète toute une conception de la vie.

La préciosité, née de l'héritage d'Honoré d'Urfé, de Guez de Balzac, de Voiture et de Corneille, a inspiré toute une littérature psychologique et morale, surtout abondante dans la poésie et le roman, mais représentée aussi à l'occasion par la tragédie ; même, elle n'est pas étrangère à la naissance et au succès d'un genre nouveau comme l'opéra. Elle conçoit la vie et l'amour, et l'anatomie[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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