PRÉDESTINATION
La théologie contemporaine
En fait, la prédestination est redevenue un thème majeur sous trois influences : la redécouverte, de Kierkegaard à Nietzsche, du fait que la foi, si elle doit être foi, ne saurait se confondre avec la bonne volonté, ce nom moderne de la vertu ; la réflexion sur l'histoire du peuple de Dieu ; la compréhension de Dieu comme personne élective, libre et aimante. La Dogmatique de Karl Barth consacre un tome entier à la doctrine de l'élection, rattachée non à la doctrine du salut, mais à la doctrine de Dieu elle-même. Selon Barth, la double prédestination est avant tout vécue par Jésus-Christ, qui est à la fois le Dieu qui élit et l'homme élu, à la limite le seul véritable réprouvé pour devenir le premier-né de tous les élus. Ici, la prédestination concerne moins la persévérance des sauvés, comme dans l'augustinisme, moins le rapport des causalités, comme au Moyen Âge, moins la manifestation des deux attributs de Dieu, miséricorde et justice, comme dans le calvinisme, que l'origine et le déroulement de l'alliance de Dieu avec son peuple, comme dans la Bible, à la différence du Dieu immobile et général de la métaphysique. On a cependant reproché à Barth, comme on le fit autrefois à Origène, d'aboutir à une doctrine du salut universel qui émousserait la notion du Jugement dernier. L'œuvre de Barth reste pourtant la plus importante réinterprétation contemporaine du sens de la prédestination, dont l'apôtre Paul soulignait déjà la manifestation en Jésus-Christ : « En Jésus-Christ, Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irrépréhensibles devant lui, nous ayant prédestinés dans son amour à être ses enfants d'adoption » (Éph., i, 4-5).
Dans la théologie catholique contemporaine, le débat se poursuit entre l'insistance augustinienne, et thomiste aussi, sur la toute-puissance de Dieu, le thomisme marquant davantage la situation de Dieu hors du temps, et l'influence moliniste toujours attachée à sauvegarder la liberté de l'homme. Le débat perd cependant de son acuité par suite de l'insistance mise, comme chez Barth, sur les dimensions collectives et universelles du salut. La christologie de Teilhard de Chardin, par exemple, s'intéresse moins à l'élection qui précède l'agir humain, jugée trop créationniste et fixiste, qu'à la récapitulation ultime de toutes choses en Christ, correspondant à la « centration » cosmogénétique du monde. La prédestination concerne moins le salut de certains individus élus que le dessein global de Dieu sur l'univers, cette rédemption résultant non d'une émergence hasardeuse vouée au risque d'une entropie fatale, mais d'une vocation d'amour universel. Par des chemins très différents, il y a là une convergence remarquable entre l'aboutissement des œuvres de Barth et de Teilhard.
La prédestination se retrouve ainsi au centre d'une réflexion contemporaine axée sur le sens de l'histoire, l'avenir du cosmos et la nature même de Dieu.
Le mot « prédestination » reste difficile à entendre pour les oreilles contemporaines, habituées à en confondre la notion soit avec le mutisme du destin, soit avec les causalités nécessaires du déterminisme. Pourtant, un retour à l'étymologie pourrait délivrer au moins de quelques malentendus : il s'agit de la destination, donc de la vocation, de l'appel adressés à l'homme par un Dieu personnel, qui a l'homme comme partenaire d'alliance et non pas comme objet ou rebut d'un destin indifférent. Et il s'agit aussi d'une destination antérieure à la libre saisie que l'homme en prend dans sa foi, son obéissance, son combat et son espérance. La prédestination est donc le vocable théologique qui atteste l'antériorité de l'amour de Dieu par rapport à notre libre adhésion. Contre le destin, il s'inscrit[...]
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Écrit par
- André DUMAS
: pasteur, président du journal
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